PSA associe la production et la finance pour percer sur les marchés émergents
La conception, la production et la logistique du nouveau modèle de PSA Peugeot Citroën destiné aux pays émergents ont été guidées dès le départ par le prix de vente final. Une révolution pour le constructeur, à laquelle la direction financière a pris une part importante.
Faire centre au centre entrer du «bunker» de des création financiers – le confidentiel surnom au sein donné du
de PSA Peugeot Citroën – jusqu’alors unique- ment réservé aux ingénieurs et aux desi- gners : l’idée aurait paru saugrenue il y a encore cinq ans. Mais un choix stratégique en matière de développement international est venu bousculer les habitudes du construc- teur automobile. En 2009, le groupe a en effet choisi de lancer deux nouveaux modèles, la 301 pour Peugeot et la C-Elysée pour Citroën, à destination des pays émergents, notamment ceux d’Europe de l’Est et du Maghreb, ainsi que de la Turquie. «Nous n’étions pas dans une logique de low cost pleine et entière, dont l’objectif est de réduire tous les coûts afin de créer des modèles d’entrée de gamme, explique Guillaume Clerc, chef de produit senior en charge du véhicule Peugeot 301. Nous souhaitions plutôt proposer une ber- line possédant un bon niveau de standing, robuste, habitable, au design soigné… Mais vendue à un tarif maîtrisé, proche de celui des véhicules du segment inférieur.» Toutefois, pour réussir le pari de pénétrer ces marchés a priori prometteurs, les équipes de PSA ont dû prendre en compte les sensibili- tés particulières des consommateurs locaux, à commencer par la question du coût des véhicules. «Il s’agit d’un point particulière- ment délicat, témoigne Guillaume Clerc. En effet, si les acheteurs sont prêts à consacrer l’équivalent d’un à deux ans de salaire pour acquérir une voiture neuve, car cette dernière est considérée comme un élément de distinction sociale, ils restent très sensibles au prix. Un modèle peut donc manquer sa cible pour quelques centaines d’euros de trop.» Une situation qui a poussé le groupe à concevoir son véhicule en fonction de son prix de vente final. Une véritable révolution en
termes d’approche ! Car si les entreprises du secteur automobile ont souvent été précurseurs en matière d’optimisation des coûts de production, le choix du tarif d’une voiture «classique» continue à être déterminé en fonction de sa motorisation, de ses équipements, de ses innovations, et donc de son prix de fabrication. Ce changement de stratégie a donc nécessité que la fonction finance intervienne très en amont du processus.
Une analyse des différents sites de production La toute première phase de ce projet a en effet consisté à étudier quelles étaient les attentes des consommateurs locaux, non seulement sur le plan technique (motorisa- tion, taille du véhicule, volume du coffre), mais également sur le montant qu’ils étaient prêts à payer. «Ce travail a été mené conjointement par la direction financière et par la
direction du marketing, explique Guillaume Clerc. Elles ont réalisé des études de marché et des analyses qui nous ont permis d’estimer que le juste tarif pour la future 301 s’établissait autour de 10 000 euros pour le marché algérien, par exemple.» C’est sur cette base que le travail de conception proprement dit s’est ensuite articulé. Avant même que les premières esquisses du futur modèle ne soient réalisées, l’équipe de production a défini les grandes lignes de sa stratégie d’optimisation des coûts. Pour cela, elle s’est d’abord appuyée sur le savoir-faire de Peugeot. «Pour la 301, nous avons réu- tilisé entre 60 % et 70 % d’éléments existants, alors que ce taux atteint plus souvent 50 % sur un véhicule classique, explique Guillaume Clerc. Nous avons ainsi limité certains frais de recherche et développe- ment nécessaires pour créer de nouveaux équipements.»
En outre, toujours dans une optique de baisse des coûts, le nombre de pièces constituant le véhicule a également été réduit de façon drastique. «Par exemple, le panneau de porte de la 301 comporte entre 10 et 20 % de composants de moins que le ceux de la 208, poursuit Guillaume Clerc. De même, le garnissage des sièges ne compte que deux types de matériaux, contre trois ou quatre habituellement pour cette catégorie de ber- lines.» Enfin, le nombre de modèles dif- férents proposés à la vente a été réduit au strict minimum. «Identifier puis se limiter aux versions qui répondront aux besoins du plus grand nombre de clients nous per- met de limiter au maximum nos stocks, non seulement pendant la phase de production, mais également lors de la commercialisa- tion», souligne Guillaume Clerc. Pendant toute cette phase de réflexion, la direction financière a participé activement aux tra- vaux des équipes chargées de la conception, en leur fournissant des scénarios présentant les impacts des solutions techniques envi- sagées sur la structure de coût du véhicule, afin de leur permettre de procéder aux arbi- trages nécessaires tout en préservant la qua- lité souhaitée pour la 301.
Une optimisation de la logistique Deuxième grande phase du projet, la ques- tion du lieu de production a fait l’objet d’une étude approfondie. Le premier réflexe pour Peugeot a été de se pencher sur le coût du travail au sein des différents sites de pro- duction du groupe. «La plupart des études disponibles estiment que le coût horaire du travail dans l’industrie en France est de 36 euros, contre 34 euros en Allemagne, 22 euros en Espagne, 21 euros en Grande- Bretagne et… 2 euros en Chine !», explique Guillaume Clerc. Mais ce n’est pas le seul critère qui a guidé la décision du construc- teur. Si c’est finalement l’implantation de Vigo, en Espagne, qui a été choisie, c’est pour des raisons de rentabilité globale. «Non seulement les coûts salariaux y étaient 30 % moins lourds qu’en France, mais construire la 301 dans cette usine nous permettait d’utiliser à plein toutes les lignes de pro- duction, et donc de mieux amortir les coûts fixes», précise Guillaume Clerc. Autre argument en faveur de ce site : ses équipements étaient déjà adaptés à la fabri- cation de la 301 et ne nécessitaient donc pas d’investissements majeurs pour lancer la production.
De plus, le choix de Vigo comportait un avantage non négligeable en termes de logistique, qui constitue le troisième poste de coût important pour PSA. En effet, il est géographiquement bien plus proche des pays méditerranéens et d’Europe de l’Est, qui sont les premiers destinataires des nouveaux véhicules. «Contrairement à ce que nous aurions pu penser de prime abord, produire en Chine n’aurait pas entraîné de réduc-
tion des coûts, bien au contraire ! explique Guillaume Clerc. En effet, les analyses finan- cières nous ont révélé que les surcoûts liés aux frais de transport et de douane – évalués entre 500 et 700 euros étaient bien plus éle- vés que les gains que nous aurions pu obte- nir grâce aux économies réalisées sur le prix du travail.» En outre, Vigo possède un port de commerce. «Nous pouvons donc achemi- ner les trois quarts des volumes par bateau, qui est de loin le moyen logistique le moins onéreux, même pour certains pays d’Europe orientale, poursuit Guillaume Clerc. Les esti- mations réalisées en amont par la direction financière nous ont montré que, compte tenu des marchés distribués, nous gagnions ainsi entre 100 et 200 euros par voiture, par rapport aux autres types de transport.»
Un accompagnement durable de la direction financière Associée au plus près des choix de produc- tion des opérationnels, la fonction finance est également intervenue sur des sujets plus traditionnels. «Lorsque nous réflé- chissions au choix de notre site d’implan- tation, cette dernière a par exemple attiré notre attention sur une problématique que nous n’avions pas forcément envisa- gée au départ, celle des droits de douane, explique Guillaume Clerc. En produisant en Europe, nous bénéficions en effet de la zone de libre-échange établie au sein de l’Union européenne, mais également des accords douaniers passés avec la Turquie ou les pays du Maghreb. Si nous avions produit la 301 en Asie, les taxes d’impor- tation auraient pu annuler une large part des gains que nous avions obtenus sur les coûts de production.» Un autre apport déterminant de la direction financière a été son expertise en matière de prévision de taux de change. «Une variation trop importante du cours de la devise locale a un impact direct sur le prix de vente du véhicule ou sur nos marges commerciales, souligne Guillaume Clerc. Nous devions donc disposer d’estimations assez fines, et ce dès la conception du véhicule, soit quatre ans à l’avance !» Ce sujet continue d’ailleurs à faire l’objet d’un suivi attentif, maintenant que la commercialisation des berlines a commencé. Comme pour tous les modèles de la marque, une réunion consa- crée à l’actualisation du cours budget est prévue tous les six mois entre la direction financière et l’équipe du projet. Toutefois, contrairement aux habitudes du groupe, les liens entre finance et produc- tion sont restés forts. «Un cadre de la fonc- tion finance a été spécifiquement détaché au sein de l’équipe en charge de la 301, précise Guillaume Clerc. Il prend en compte l’évolution des taux de change, mais sa responsabilité principale est de surveiller la maîtrise de l’ensemble des coûts et de la rentabilité du programme, en lien avec la direction du contrôle de gestion et de la direction financière du groupe.» Une première chez PSA, qui vient marquer le succès de l’intégration de la finance au sein des équipes de gestion de projets sur les nouveaux modèles. Et qui pourrait bien donner des idées pour de prochains pro- jets.
Article à retrouver dans Option Finance n°1207 – Lundi 4 février 2013