N’ayez plus peur des directions financières!

N’ayez plus peur des directions financières!

La période d’instabilité économique que connaissent actuellement les entreprises a provoqué une accélération du renforcement des liens entre financiers et opérationnels. Au delà de la mise en place d’indicateurs dédiés, les premiers accompagnent de plus en plus souvent les seconds dans leur gestion quotidienne… au prix d’efforts souvent non négligeables !

Depuis plusieurs années déjà, les directions financières sont sorties d’un rôle essentiellement de contrôle, pour l’essentiel, afin de se rapprocher des opérationnels. La mise en place de systèmes d’information financiers de plus en plus per- formants, qui a elle-même facilité l’apparition d’indicateurs de plus en plus précis, et l’entrée en vigueur des normes IFRS sont autant d’évolutions qui ont conduit les membres de la fonction finance à plus travailler étroitement avec les dirigeants de l’entreprise ou des business units. Ce rôle de soutien des opérationnels, souvent désignés par le terme de «business partner», s’est encore accru dans le contexte de forte instabilité économique auquel sont confrontées les entreprises depuis l’été 2008. «Une des leçons que nous avons tirées des crises récentes est que la direc- tion financière devait travailler au plus près des opérationnels, explique un directeur financier d’un grand groupe.

En effet, si l’action de ces derniers permet de générer le chiffre d’affaires, la mission de la direction financière, pour sa part, est de s’assurer que cette croissance est rentable et correspond bien à la stratégie définie de l’entreprise. Il est donc indispensable que nous collabo- rions de façon étroite.» Un sentiment largement partagé parmi les directeurs financiers. «Nos relations avec les opérationnels permettent d’améliorer la performance de l’entreprise dans son ensemble, confirme ainsi Pascal Bouchiat senior vice-président finances de Thales. Ce rapprochement est indispensable dans une période incertaine où les opérationnels doivent affronter des risques de plus en plus complexes, entre la volatilité des taux de change, des défaillances de certains clients, des Etats remettant en cause leurs commandes aux entreprises… Nous devons apporter notre expertise sur tous ces sujets.»

Gagner la confiance des opérationnels

Néanmoins, pour que cette expertise soit bien reçue et reconnue, la direction financière doit gagner la confiance des opérationnels… ce qui a demandé souvent beau- coup d’efforts ! C’est ce qu’a ainsi constaté à son arrivée le nou- veau directeur financier d’une start-up qui risquait de déposer son bilan, car elle accumulait les coûts sans arriver à commer- cialiser son produit. «Quand j’ai rejoint cette PME innovante, la recherche était la matière noble, se souvient-il. Il a donc fallu prouver aux chercheurs que nous n’étions pas uniquement là pour les censurer, mais aussi pour assurer la pérennité de l’entreprise.» Une démonstration effectuée chiffres à l’appui. «Alors qu’ils étaient habitués à disposer des meilleurs matériels, j’ai dû leur expliquer qu’investir dans une machine qui coûte 200 000 euros pour réduire d’une demi-journée par mois le temps de travail d’un scientifique n’était pas rentable, poursuit-il. Cet argent-là pouvait au contraire être investi dans la recherche pour améliorer substantiellement le produit.» Ces efforts de pédagogie nécessitent en général de la patience.

Ainsi, chez Somfy, le spécialiste des moteurs et des mécanismes d’ouverture et fermeture destinés à la maison et au bâtiment (près de 953 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012), les contrô- leurs de gestion, qui ont été déployés sur le terrain ont rencon- tré des difficultés les premières semaines après leur arrivée. «À l’origine, nous souhaitions mettre en place des indicateurs finan-cier sur les lignes de production, mais nous nous sommes vite rendu compte que les opérationnels et les contrôleurs n’avaient pas forcément le même langage, explique Pierre Ribeiro, directeur financier de Somfy. Les ratios ont donc été adaptés aux problématiques du terrain pour les rendre plus pertinents.» Il a fallu plusieurs semaines pour que chaque monde se comprenne malgré les jargons respectifs. «Les contrôleurs de gestion ont dû faire un un effort d’intégration», poursuit Pierre Ribeiro. Ils ont ainsi été formés aux compétences techniques propres à l’usine qu’ils contrô-laient… et ont dû passé notamment une semaine une des lignes de production pour mieux comprendre les enjeux des ouvriers d’un site industriel. «Je pense que c’est à partir de ce moment-là queles opérationnels ont cessé de les voir comme des comptables, et les considérer comme des partenaires», estime Pierre Ribeiro. Tous ces efforts ont permis, entre autres, d’associer les opérationnels aux objectifs financiers du groupe.

Etablir le premier contact avec le terrain

Pour faciliter la compréhension des opérationnels, certains finan- ciers s’appuient même sur des logiques industrielles comme le lean manufacturing, un système qui vise l’accélération des flux et la limitation des surplus inutiles. «Chez Radiall, nous avons inclus dans la mesure de performance du lean manufacturing nos objectifs financiers de réduction de stock, et sensibilisé les opéra- tionnels à l’importance d’une bonne gestion des stocks, raconte Guy de Royer, directeur financier la société spécialisée dans les équipements électroniques (220 millions d’euros de chiffre d’af- faires en 2012). Ils ont ainsi réalisé que constituer des stocks en excès génère un gaspillage immobilisant inutilement de la trésorerie au détriment d’autres investissements productifs.»

Mais les opérationnels ne sont pas toujours les plus réfractaires à une telle collaboration. Les cadres financiers eux-mêmes sont souvent réticents à se déplacer dans les usines car ils craignent de ne pas y être les bienvenus. Chez Thales Underwater Systems, le directeur administratif et financier Jean-Baptiste Arrou-Vignod a souhaité faciliter les échanges. Il a organisé des visites d’usines pour les membres de la direction financière, et invité une fois par mois un opérationnel à une réunion au cours de laquelle ce dernier présente son travail.

Outre ces contacts répétés qui permettent à chacun d’échanger sur ses objectifs, il a lancé il y a deux ans une enquête de satisfaction annuelle afin de connaître la perception de la direction financière par les opérationnels. «Au départ, cela a plutôt inquiété mes collaborateurs, mais les résultats de l’enquête étant bons, cela a été perçu comme une reconnaissance et une motivation pour les équipes à faire stocks, et sensibilisé les opérationnels à l’importance de cette problématique», rapporte Jean-Baptiste Arrou-Vignod. Une fois le premier pas franchi, les directions financières apprécient généralement d’aller sur le terrain car une telle démarche leur apporte une forme de reconnaissance au sein de l’entreprise

Tous ces chantiers prennent généralement quelques mois, le temps que chacun accepte le changement et s’adapte. Ensuite, au quotidien, les directions financières poursuivent l’accompagnement des opérationnels dans l’exercice de leur mission. «Il est désormais fréquent que la direction financière prépare en amont avec les commerciaux leurs rendez-vous client, voire y assiste, afin de négocier, par exemple, des conditions de paiement qui ne pèsent pas de façon trop importante sur notre trésorerie et afin de s’assurer que les sommes dues seront bien encaissées», explique Olivier Aldrin, directeur général adjoint en charge des finances du groupe Altran.

Dans le même esprit, les membres de la fonction finance n’hésitent plus à intervenir de leur propre chef lorsqu’ils détectent des points d’amélioration, concernant notamment la politique de prix pratiquée par l’entreprise. «Dans une PME spécialisée dans la fourniture de matériels pour les hôpitaux, la direction financière a alerté la direction générale car les tarifs proposés par la société sur certaines catégories de produits étaient bien supérieurs à ceux de ses concurrents directs, témoigne Franck Carrère, associé chez Deloitte. En étudiant toutes les étapes de la chaîne de valeur, le directeur financier a démontré que l’entreprise pouvait baisser ses prix sans trop nuire à ses marges, et donc redevenir concurrentielle. Sa proposition a été appliquée dans la foulée par la direc- tion générale.» Cette faculté d’alerte offerte à la fonction finance gagne de plus en plus d’entreprises. Ainsi, chez Thales, une réflexion est menée sur ce thème. «Nous souhaitons renforcer ce rôle de la direction financière, confirme Pascal Bouchiat. Elle doit pouvoir proposer des plans d’action dès que des baisses de carnets de com- mandes sont constatées et non a posteriori, lors de la consolidation des comptes.»

Afin de détecter plus précisément les besoins et les méthodes propres aux opérationnels et de créer une relation d’échange et de confiance, les directeurs financiers eux-mêmes multiplient les contacts avec ces derniers. Une démarche qui passe inévitablement par des rendez-vous réguliers au sein des différentes enti- tés du groupe, afin de découvrir les plutôt inquiété mes collaborateurs, mais les résultats de l’enquête étant bons, cela a étéréalités du terrain. «Au cours des neuf mois qui ont suivi ma prise de fonction, j’ai visité presque toutes les filiales d’Altran, poursuit Olivier Aldrin. Ces déplacements prennent perçu comme une reconnaissance et une motivation.»

 De la même façon, Victoire Aubry, directeur finances, risques et administration de la Compagnie des Alpes, rencontre régulièrement les équipes des parcs de loisirs et des stations de skis appartenant au groupe. «Je me déplace deux fois par mois, témoigne-t-elle. A cette occa- sion, si les questions financières res- tent au cœur de nos échanges, comprendre “in situ” les enjeux de leur activité m’aident à mettre en perspective les données finan- cières qui me parviennent et donc à améliorer la finesse de nos analyses, et la pertinence de nos plans d’actions opérationnels qui en découlent.»

Des contrôleurs de gestion qui entretiennent les liens

Toutefois, dans la plupart des entreprises, le maintien d’une rela- tion quotidienne est traditionnellement assuré par les contrôleurs de gestion, qui s’impliquent de plus en plus dans cette tâche. «La direction financière dans son ensemble et les contrôleurs de ges- tion jouent de plus en plus un rôle de conseil auprès des direc- teurs de parcs de loisirs et de stations de ski», confirme Victoire Aubry. «Depuis quelques années, les contrôleurs de gestion ne sont plus seulement dans une mission de contrôle, mais égale- ment d’accompagnement des opérationnels de terrain, à l’image des rapports qu’entretient le directeur financier avec le directeur général, confirme Franck Carrère. Ils élaborent des hypothèses, en en mesurant l’impact, et les présentent en amont des prises de décisions stratégiques.» Ce nouveau rôle a une consé- quence directe sur l’organisation de la direction financière. Ainsi, de plus en plus, les contrôleurs dépen- dent hiérarchiquement des direc- teurs de division ou de business unit qu’ils suivent, comme c’est le cas chez Transgene (voir encadré). Mais surtout, ces nouvelles missions nécessitent, pour l’ensemble des cadres financiers en lien avec des opérationnels, de développer des compétences relationnelles.

Chez Altran, il n’existe pas de formation établie pour aider les cadres financiers à atteindre ce but, mais Olivier Aldrin n’hésite pas à s’impliquer lui-même auprès de ses collaborateurs pour les accompagner dans cette démarche. Thales, pour sa part, a mis en place une université interne au sein de laquelle les managers financiers seniors forment les jeunes talents… mais également des opéra- tionnels intéressés par les notions financières. «Former en interne nous permet de disposer de cadres financiers qui soient au fait de notre culture d’entreprise, et peuvent ainsi mieux communiquer avec les membres des différentes fonctions du groupe, explique Pascal Bouchiat. Je préfère donc souvent embaucher des débu- tants, que nous accompagnons ensuite.» Toutefois, de plus en plus, les directeurs financiers cherchent à recruter des candidats possédant déjà les prédispositions néces-sélectionne en priorité des professionnels qui me semblent capables de com- prendre les opérationnels, mais également de se faire écouter par ces derniers, explique Olivier Aldrin. Ils doivent pouvoir convaincre et expliquer l’intérêt d’une démarche financière.» Si ces prédispositions se confirment, elles seront alors un atout pour le parcours professionnel du cadre financier. Savoir com- muniquer avec les opérationnels est en effet une condition sine qua non pour prendre, par la suite, une direction financière de filiale.


 

Dossier complet à retrouver dans Option Finance n° 1206 – Lundi 28 janvier 2013

 

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