Les directeurs financiers, remparts contre la corruption

Les directeurs financiers, remparts contre la corruption

Suite à de nombreuses condamnations, les entreprises doivent mettre en place des dispositifs de lutte contre les actes de corruption. Transversale, cette mission de contrôle demande une fine connaissance comptable, et nécessite donc l’intervention de la direction financière.

398 millions de dollars d’amende. C’est le montant que Total a accepté de payer en 2013 à la commission américaine des opérations de bourse (SEC) et au département américain de la justice afin de gérer à l’amiable des accusations de corruption. Ces institutions juridiques américaines accusaient en effet le géant français d’avoir versé des pots-de-vin afin d’obtenir des contrats publics en Iran. Cette somme, qui figure parmi les amendes les plus conséquentes versées aux Etats-Unis dans le cadre de la lutte contre la corruption, a confirmé que le sujet devenait un véritable enjeu juridique pour les entreprises mondiales, y compris celles européennes.

Auparavant, en 2010, Technip avait également été condamné à 338 millions de dollars d’amende pour solder des poursuites au pénal pour des faits de corruption au Nigeria et Alcatel Lucent avait versé 137 millions suite à des accusations concernant des potsde-vin qui auraient été versés au Costa Rica, au Honduras, en Malaisie et à Taïwan. « Ces sommes ont marqué les esprits, explique Philippe Hontarrède, associé et responsable de l’activité fraud investigation & dispute services d’EY. Alors que le Foreign Corruption Practice Act datait de 1977, les Etats-Unis ont récemment durci leur attitude en la matière en renforçant leurs équipes anti-corruption et en sanctionnant davantage les groupes étrangers dès lors que des transactions litigieuses s’opéraient en dollars et que les entreprises visées commerçaient aux Etats-Unis. »

Une obligation de moyens

Si la corruption a toujours été une problématique pour les grandes sociétés françaises, les risques financiers n’ont jamais été aussi significatifs. D’autant que ces amendes ne représentent souvent qu’une partie des frais. « Une grande entreprise du secteur industriel a par exemple dû payer près d’un milliard d’euros d’amende mais aussi un montant équivalent en frais de défense et de remise à niveau du contrôle interne », poursuit Philippe Hontarrède. De plus, les Etats-Unis ont été suivis par d’autres pays, comme l’Espagne, le Brésil, la Norvège, etc. qui se sont tous dotés de loi internationale contre la corruption.

Mais la loi du Royaume-Uni, votée en 2010, est celle qui a encore élevé le niveau d’exigence. Le Bribery Act a en effet ajouté une pression supplémentaire sur les entreprises.

« Cette loi extraterritoriale, applicable dès qu’une société commerce en livres sterlings, peut non seulement condamner un cas de corruption mais aussi le fait qu’une société n’a pas mis en place les procédures nécessaires pour l’éviter », explique Jean-Luc Deza, fraud officer chez Saint-Gobain. En clair les sociétés doivent prouver aujourd’hui, en cas de délits, qu’elles ont mis en place un dispositif de fraude efficace, au vu de leur taille, si elles veulent éviter des amendes records. Si une société incriminée arrive à prouver que ses procédures internes sont proportionnées à sa taille et aux risques encourus, elle ne pourra être condamnée. Ce concept a d’ailleurs été conforté par la jurisprudence américaine dite « Morgan Stanley » : un cas de corruption avait été avéré au sein de la banque, mais comme il avait été attribué à un individu, la responsabilité de l’institution n’avait pas été engagée.

Une politique de « compliance »

Les entreprises concernées par ce type de problématique ont donc tout intérêt à jouer la carte de la prévention et du contrôle interne. Et ce d’autant plus que le risque dépasse les amendes encourues en cas de dérapage. En effet, un cas de corruption avéré peut couper un grand groupe de nombreux contrats publics. Une situation qui peut être dramatique dans certains secteurs comme la construction, la défense ou l’aéronautique. Par ailleurs, si la Banque mondiale met une entreprise sur liste noire, aucun bailleur de fonds ne se risquera ensuite à financer cette dernière. Enfin, des partenaires pourraient remettre en cause leurs relations commerciales avec la société incriminée afin de ne pas voir leur propre réputation ternie. Face au risque d’une telle quarantaine, les groupes réalisent désormais qu’il faut agir. « Depuis trois ans, les entreprises nous sollicitent de plus en plus », confirme Philippe Hontarrède.

Dans un premier temps, l’objectif est de mettre en place une politique de compliance, traitant principalement des règles anti-corruption. « La première phase consiste à sensibiliser les équipes en interne », précise Pierre-Yves Hentzen, directeur administratif et financier de Arkoon-Netasq, une filiale spécialisée en sécurité informatique au sein du groupe Airbus. Dans le groupe, ces règles concernent notamment les situations de conflits d’intérêt, de donations, de sponsoring ou les cadeaux que l’on peut éthiquement offrir ou recevoir. « Pour ces derniers, nous avons une somme plafond pour les acteurs publics et une autre pour les acteurs privés au-delà desquelles on ne peut agir, poursuit Pierre-Yves Hentzen. Et nous avons des règles strictes interdisant l’argent liquide ou les divertissements jugés indécents. » Une implication poussée des financiers Une fois ces limites fixées, Airbus met en place des réunions de sensibilisation particulièrement auprès des commerciaux mais aussi à destination des directeurs financiers. Ces derniers sont en effet, dans les différentes entités du groupe, ceux qui peuvent le plus aisément détecter une fraude et donner l’alerte. « Les correspondants compliance sont alors très souvent des directeurs financiers au sein du groupe, car ils ont à la fois les compétences juridiques, l’habitude de mener des projets transverses et la capacité de détecter une fraude », témoigne Pierre-Yves Hentzen.

Dans beaucoup d’entreprises, l’audit interne joue également un rôle important dans le dispositif de prévention de la corruption, comme chez Saint-Gobain. Ainsi, outre un e-learning sur le risque de corruption pour sensibiliser l’ensemble des salariés dans le monde, Jean-Luc Deza dirige tous les ans des audits de conformité sur une activité du groupe : « Je travaille avec les auditeurs en leur indiquant où regarder, notamment dans les appels d’offres, les cadeaux ou les prestations d’agence, explique ce dernier. En effet, la fraude aux achats, qui consiste à privilégier un prestataire contre un pot-de-vin, est la plus récurrente et progresse un peu plus chaque année. »

Un audit des prestataires devenu systématique

L’entreprise doit aussi vérifier que ses partenaires ont une bonne réputation, notamment lorsqu’elle fait confiance à un nouvel intermédiaire pour pénétrer un marché.

« Dans les pays sensibles, certains agents peuvent avoir des pratiques qui ne sont pas conformes aux exigences de l’entreprise, explique Antoinette Gutierrez-Crespin, associée, fraud investigation & dispute services d’EY. Or cette dernière peut être tenue pour responsable simplement pour ne pas avoir vérifié la réputation de son partenaire. » La direction financière est alors chargée d’enquêter sur ses futurs partenaires potentiels. « L’exercice est difficile car nous ne les maîtrisons pas complètement, notamment à l’international, explique Pierre-Yves Hentzen. Néanmoins, nous les soumettons à une phase d’audit qui consiste à leur faire remplir un questionnaire sur leurs pratiques, complété par des prises de renseignements sur leur réputation. Parfois, nous pouvons aller jusqu’à faire intervenir un cabinet extérieur pour une enquête plus approfondie. » Si cette démarche d’investigation est essentielle dans les pays à risque, elle peut aussi concerner par prudence les sous-traitants hexagonaux. Les problématiques de corruption qui ne concernaient dans un premier temps que les grands groupes mondiaux s’étendent désormais à l’ensemble du tissu économique français !


 

Dossier – carrière et management dans la finance

 

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