CHANGEMENT CLIMATIQUE – Les assureurs revoient leur copie
Face à des événements très coûteux, les assureurs tentent de reprendre la main et travaillent leur modélisation du risque.
L’assurance est née et s’est développée pour faire face à des tempêtes et les couvrir de manière mutualisée. Pourtant, le gel au Texas et les inondations en Allemagne de cette année ont rebattu les cartes. « Les chiffres parlent d’eux-mêmes, annonce Maxime Ambourg, directeur risk consulting Europe & UK chez Axa XL. A l’échelle du marché, nous sommes passés de 30 milliards de dollars de sinistres liés aux événements climatiques il y a cinquante ans à 200 milliards. » Et selon la Fédération française de l’assurance (FFA), la sinistralité en assurance-dommages aux biens pourrait augmenter de… 93 % en France d’ici à 2050, si l’on se base sur le scénario le plus pessimiste du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).
Plusieurs critères entrent en jeu pour créer ce fort effet cocktail. Le premier est une bonne nouvelle pour le secteur : le taux de pénétration de l’assurance qui s’améliore. Le deuxième est purement financier : les actifs touchés, notamment l’immobilier, ont pris de la valeur avec les années. Le troisième, quant à lui, est le changement climatique. « Sur ces cinq dernières années, nous n’avons pas eu d’année de respiration, avec moins de catastrophes, ce qui aurait permis de retrouver un équilibre financier ; quatre de ces années ont en outre enregistré des records historiques de dégâts et de prise en charge », explique Julien Guénot, directeur pour la France d’Axa XL.
Si on ajoute à ce contexte une économie interconnectée, qui provoque des problématiques d’approvisionnement, le risque devient omniprésent. « L’exceptionnelle vague de froid au Texas en début d’année est un bon d’exemple de scénario non modélisé, souligne Florence Louppe, directrice générale de HDI Global SE. Clairement, de tels événements climatiques sont encore largement sous-estimés dans nos analyses de risques. » Ce témoignage est très représentatif de ce qui alerte le secteur. « Nous constatons que les assureurs sont troublés car leur modélisation du risque, construite de manière scientifique et ayant fait ses preuves, ne fonctionne plus aujourd’hui », souligne Philippe Maraux, directeur des lignes techniques chez le courtier Marsh.
Pour maintenir leur capacité à couvrir les particuliers comme les entreprises, les assureurs vont devoir mieux maîtriser le risque. « Quand le poids des indemnisations augmente, il est important d’en comprendre les raisons, résume François Nédey, membre du comité exécutif d’Allianz France, en charge de l’assurance des biens et responsabilités. Face à cette augmentation, nous modérons d’une part nos expositions dans des lieux où nous sommes trop exposés. De l’autre, nous investissons, comme nous l’avons déjà fait en automobile et dans l’incendie, pour toujours mieux modéliser ces risques. »
Alors concrètement, à quoi servent ces investissements ? « Nous avons travaillé la donnée, notamment grâce à l’amélioration de nos modèles météorologiques et la collecte d’informations détaillées sur les risques », ajoute-t-il. Par exemple, l’assureur est désormais capable d’estimer le risque de sécheresse très précisément, avec les coordonnées GPS du bien à assurer. Ensuite, le groupe a également développé une modélisation de la topographie et de la géologie des sols pour mieux modéliser les inondations par débordement. « Nous devons encore améliorer celle par ruissellement, avec des risques d’affaissement de terrain », confie-t-il. Enfin, le travail se poursuit actuellement sur les vagues submergeantes, résultant des fortes marées, de la houle et du vent.
Résilience
Chez Axa, le discours est le même. « Nous avons beaucoup investi sur nos modélisations, qui sont très stratégiques en termes de transformation et que nous souhaitons garder en interne chez Axa, indique Julien Guénot. Mais nous nous ouvrons aussi de plus en plus à des partenariats scientifiques pour enrichir notre réflexion. » HDI est pour sa part allé plus loin en travaillant main dans la main avec Carbone 4, cabinet de conseil spécialisé dans la stratégie de bas carbone et l’adaptation au changement climatique, pour créer un nouveau référentiel nommée Ocara. « Cet outil de mesure de vulnérabilité de l’industriel permettra d’améliorer notre analyse du risque et notre capacité d’accompagnement », explique Florence Louppe.
Si elle doit encore faire ses preuves, la méthode Ocara est une bonne illustration d’un point majeur sur lequel les assureurs pourront réellement agir. Impuissant à contrôler l’aléa (occurrence) et l’exposition (valeur des actifs couverts), ils peuvent contribuer à optimiser la résilience. « Par exemple, quand nous aidons à reconstruire, nous pouvons améliorer le bâti pour éviter de nouveaux sinistres, illustre Renaud Guidée, directeur de la gestion des risques pour le groupe Axa. Ainsi, la tempête Ida, il y a trois mois aux Etats-Unis, a été de la même intensité que Katrina à la Nouvelle-Orléans. Mais seize ans après, il y a eu cinq fois moins de dégâts, notamment grâce aux digues. »
Pour aider les entreprises et les collectivités locales à construire ou reconstruire en fonction des risques, Axa a créé une filiale de risk consulting. « Lorsque les risques augmentent, la capacité des assureurs à les couvrir, c’est-à-dire leur solvabilité, peut requérir une hausse des primes. Mais la prévention des risques offre une solution alternative, qui renforce l’assurabilité, observe Renaud Guidée. Même en France, où les assurés disposent d’un système remarquable pour les protéger efficacement, qui associe assureurs, réassureurs et pouvoirs publics – et doit être préservé -, la prévention est cruciale. »
Au niveau de l’assurance des entreprises, les courtiers signalent quant à eux une crispation. « Pour le moment, les assureurs ne donnent pas l’impression d’avoir déjà reconstruit un modèle dans lequel ils ont confiance, témoigne Philippe Maraux. Et cela se traduit par une réduction des garanties et une augmentation des franchises et des primes. » Les courtiers tentent alors de structurer des dossiers pour les entreprises où s’ajoutent à l’assurance classique, des souscriptions à des assurances paramétriques (qui se déclenchent en fonction d’un critère objectivable – comme la température – et non un sinistre) et des captives. « Nous construisons de plus en plus souvent des couvertures hybrides pour maintenir les niveaux d’assurance, tout en contenant leurs coûts », confirme Rosy Laurent, directrice risk analytics chez Marsh France.
Retrouvez l’intégralité de l’article dans L’AGEFI Hebdo – L’enquête, jeudi 16 décembre 2021