Lyon : le square Sainte‐Marie‐Perrin, purgatoire des jeunes migrants
Depuis le mois d’avril, une centaine de jeunes originaires d’Afrique ont trouvé refuge dans un square situé juste en face du siège de la métropole de Lyon. La plupart sont dans l’attente d’un recours judiciaire après un premier refus de la collectivité de les considérer comme mineurs. Dans ce fragile abri de tentes et de bâches, ces adolescents luttent contre la pluie et le vide administratif.
Des dizaines de tentes recouvertes de bâches alignées sous les marronniers du square Sainte‐Marie‐Perrin. Quatre toilettes sèches pour tout sanitaire. Et des planches posées çà et là pour se rendre d’un bout à l’autre sans s’enliser dans la boue. Dans ce petit parc du 3e arrondissement de Lyon, à tour de rôle, des jeunes viennent s’assurer de leur apparence devant un miroir ébréché posé contre les grilles à proximité de quelques robinets.
Ici vivent entre 100 et 150 personnes. Difficile de savoir combien exactement. Aucune association ne gère réellement ce campement de migrants, installé depuis avril dernier à quelques mètres du siège du Grand Lyon. La majorité se déclarent mineurs et « non accompagnés » d’un adulte mais déboutés par la Métropole chargée d’évaluer leur âge (une mission confiée à l’association Forum réfugiés). Ils ont fini par trouver refuge ici, en attendant que le juge des enfants leur donne – ou non – une deuxième chance pour grandir en France.
Ce vendredi 10 novembre, la pluie a enfin cessé. Les sourires reviennent. Le responsable du campement, géré par les jeunes eux‐mêmes, nous accueille. Il s’appelle Bachir et vient de Guinée Conakry. « J’ai 16 ans et ils m’ont nommé chef, explique simplement celui‐ci. Alors je gère les arrivées, la répartition des dons que les voisins apportent et les conflits aussi. » Et d’ajouter, en montrant d’un revers de main leur cadre de vie : « L’insécurité, le froid, la pluie qui rend tout boueux, la difficulté à trouver des repas le week‐end… C’est ça notre quotidien. Mais, toujours, toujours, nous veillons à ne pas déranger : tous les dimanches, c’est grand ménage pour tout le monde ! »
Voisins solidaires
« C’est le grand paradoxe », témoigne Nathalie Rivier, riveraine et propriétaire de Cybèle coiffure, un salon dont les grandes baies vitrées donnent directement sur le square. « Cela nous fait mal au cœur de les voir vivre dans des conditions aussi indignes mais le quartier est aussi devenu plus apaisé car le parc n’est plus un lieu de fête sauvage. Cet été, pour la première fois, nous avons pu dormir les fenêtres ouvertes », raconte‐t‐elle.
Les voisins et les parents d’élèves des écoles à proximité – Etienne Dolet et Saint Sacrement –, confirment : s’ils regrettent de ne plus pouvoir utiliser autant qu’avant les jeux du parc pour leurs enfants et que le projet de piétonisation de la « rue des écoles » ait été reporté sine die, ils saluent le « civisme » des jeunes, leur « politesse » et leurs « sourires ». Nombre d’entre eux ajoutent souvent : « J’agis un peu, comme je peux. » Certains amènent des vêtements, des boissons chaudes, de la nourriture, se cotisent pour acheter des tentes, lavent des vêtements… Les coups de main sont toutefois loin de répondre aux besoins d’un campement de plus de 100 personnes.
Quand on évoque l’investissement des voisins, le nom de Diane Etchart revient vite. « Elle habite l’immeuble bleu, là, au coin », désigne l’un des jeunes du camp. Mais il est en fait plus facile de la croiser directement au parc. Cet été, cette jeune retraitée s’occupait de l’aide aux devoirs sur les grandes tablées à l’ombre des marronniers. Avec le retour de la pluie, elle s’est démenée pour trouver des palettes à mettre sous les tentes pour qu’elles ne soient pas inondées. « Les jeunes du quartier n’ont pas souvent de voiture, alors le chauffeur, ici, c’est moi », confie Diane Etchart. Parfois, la voisine passe juste pour alerter que la pluie va tomber, qu’il faut rentrer les couvertures et tendre les bâches sur les tentes.
Jeux d’enfants, galères d’adultes
Quand il ne pleut pas, les jeunes tentent de faire sécher le linge, lavé dans un laverie à proximité ou directement à la fontaine. Les couvertures sont ainsi étendues sur les grilles qui les séparent de la rue. Ils jouent aussi, surtout au foot. Mercredi 8 novembre après‐midi, comme souvent, on tue le temps à coup de passes et de jongles. Le temps d’une éclaircie, ils redeviennent des enfants.
Boubacar, 15 ans ne passe pas inaperçu avec sa grande taille et son manteau rose pâle, un imperméable utile en cette saison. « Mais pas très chaud », précise‐t‐il. Il nous montre sa tente, avec réticence. « Ce n’est pas très bien rangé », s’excuse-t-il. Pourtant, quand on ouvre, chaussures et vêtements sont soigneusement enroulés sur le côté des matelas de camping. Ils sont deux à la partager, tandis que certains n’ont « pas ce luxe », nous dit‐il. Dans certaines grandes tentes, on s’entasse jusqu’à six pour dormir.
« Ici, j’ai toujours les pieds mouillés »
Comme les autres jeunes, ce Guinéen garde en permanence son sac à dos, même à quelques mètres de sa tente. Une ultra‐vigilance héritée de son voyage migratoire. Dedans, tout ce qui est important : un portable, un chargeur, un extrait officiel de son acte de naissance et une série de polycopiés, épais comme un manuel scolaire, remis par le Secours populaire pour étudier et faire ses devoirs.
Ces biens les plus précieux sont tous sous plastique, pour les protéger. Ses camarades de jeux – ou de galère – gardent aussi le peu qu’ils ont sur eux. « J’ai des chaussettes dans un sac plastique étanche, complète l’un d’eux. Car ici, j’ai toujours les pieds mouillés. » Cette paire, ajoute‐t‐il, il la garde « pour l’école ».
L’école, seulement quatre d’entre eux y vont vraiment. Pour les autres, comme ce jeune garçon, l’éducation se résume à une heure et demie quotidienne d’aide scolaire distillée par les bénévoles et salariés du Secours populaire. Une béquille pour essayer de garder un niveau de base en attendant la scolarisation tant souhaitée. « Nous accueillons 300 jeunes par jour, respectueux, assidus, avides d’apprendre, dont près de la moitié viennent de ce campement », témoigne Isabelle Martinelli, coordinatrice locale de l’association.
Dans les locaux du Secours populaire, à Jean Macé (7e arrondissement), les jeunes peuvent prendre un petit‐déjeuner chaud pour se remettre d’une nuit souvent hachée, puis suivre quelques cours. « Nous y sommes traités comme des humains, à défaut de pouvoir être des enfants », dit poétiquement un Camerounais, qui précise qu’il a 16 ans et demi, bientôt « trois quarts ». Comme un enfant justement.
Ni mineurs, ni expulsés
Légalement, un mineur en France doit être mis à l’abri, indépendamment de son origine ou de son parcours migratoire. Sur le territoire du Grand Lyon, cette responsabilité incombe à la Métropole… de l’autre côté de la rue Garibaldi qui borde le square donc. Régulièrement, les jeunes et les militants qui leur viennent en aide la traversent pour « faire du bruit » sous les fenêtres des élus et demander « un toit et à manger », résume l’un d’entre eux. Ce mardi 7 novembre, une cinquantaine de personnes manifestent ainsi pour la neuvième fois en quelques mois dans le hall de la collectivité, pancartes et slogans à l’appui.
Les témoignages des jeunes se suivent et se ressemblent. Aboulam, 16 ans, Camerounais : « Ça fait plus de deux mois que je dors sous la tente. Nous sommes trois dedans. J’ai froid, j’ai faim. » Un autre, qui a peur de donner son prénom complète le tableau : « Pour se laver c’est difficile. Il y a bien les bains douches à Gerland mais nous n’avons pas de ticket de métro. Vraiment, je ne m’attendais pas à ça. Je pensais que la France était le pays des droits de l’Homme. » Camara, Guinéen de 16 ans, entre dans le débat. Sa voix éraillée, par un coup de froid ou une mue tardive – il ne le sait pas lui‐même – dénote avec ses propos réfléchis : « Je suis d’accord, je ne comprends pas comment c’est possible dans un état de droit mais j’ai de l’espoir car je suis en France. Je sais que les enfants sont protégés. »
« Ils ont eu le malheur de tomber dans un vide juridique »
Tous ont en commun de ne pas avoir pu faire la preuve de leur minorité. « Je n’ai pas réussi l’évaluation tout ça parce que je n’avais pas l’original de mon acte de naissance », confie Aboubacar, 15 ans, Guinéen vivant depuis plus de quatre mois au square. Une bénévole passe. Il en profite pour faire un point : « Je suis en train de récupérer le document et j’ai saisi le tribunal. »
La bénévole, c’est Lisa Lamboley, du Collectif Soutiens/Migrants Croix‐Rousse. Elle accompagne ces jeunes pour faire venir leurs papiers de leur pays d’origine ou en cas de problèmes de santé. « Ils ont eu le malheur de tomber dans un vide juridique, explique‐t‐elle. D’un côté, ils ne sont pas considérés mineurs par la Métropole et ne sont donc pas pris en charge. De l’autre, ils ne sont pas considérés comme majeurs et peinent à se faire soigner sans représentants légaux quand ils sont hospitalisés. » Un vide juridique qui transforme de fait ce square en purgatoire, en attendant une reconnaissance de minorité ou une éventuelle Obligation de quitter le territoire français (OQTF).
La métropole de Lyon reconnaît une action « insuffisante »
Du côté de la métropole de Lyon, Lucie Vacher, vice‐présidente chargée de l’Enfance, se veut rassurante : « Dès que la minorité est reconnue, par l’évaluation réalisée par Forum réfugiés pour notre compte ou par le juge des enfants, dans 8 cas jugés sur 10 environ, nous les prenons en charge. » Actuellement, le Grand Lyon accueille près de 800 mineurs non accompagnés (MNA) et 1 300 jeunes majeurs anciennement pris en charge en tant que MNA [nous reviendrons dans un prochain article sur la prise en charge des jeunes majeurs]. « Mais c’est vrai qu’il y a une question à résoudre sur cette attente », admet l’élue écologiste.
Lors de la première évaluation, les jeunes doivent être mis à l’abri pendant cinq jours afin de leur offrir un répit. « Ce n’est pas suffisant », reconnaît Lucie Vacher. La Métropole a aussi mis en place un lieu d’accueil dédié, baptisé La Station, passé d’une cinquantaine de places à sa création à 102 aujourd’hui. « Nous sommes la seule métropole ou département à avoir financé et développé un tel lieu », rappelle la vice‐présidente. Le lieu est financé à hauteur de 688 000 euros par le Grand Lyon et de 600 000 euros par l’Etat. Mais, là aussi, les capacités d’accueil restent insuffisantes.
« Nous demandons avec insistance un débat national sur l’aide à l’enfance », ajoute Lucie Vacher, pour qui « il y a un impensé entre l’arrivé de ces jeunes et la reconnaissance de la minorité. Or nous avons besoin de l’État sous forme d’une coordination nationale et d’une aide financière dédiée pour mettre à l’abri ces jeunes potentiellement mineurs. »
Une première étape a été franchie vendredi 10 novembre. La première ministre Elisabeth Borne a annoncé une rallonge de plus de 230 millions d’euros pour aider l’ensemble des départements à financer leurs dépenses en matière de protection de l’enfance. A titre de comparaison, l’enveloppe de la métropole de Lyon consacrée aux MNA s’élève à 36,4 millions d’euros (15,1 millions pour la mise à l’abri et l’évaluation ; 21,3 millions pour les mineurs pris en charge) et de 33,3 millions d’euros pour les jeunes majeurs.
Combien de temps le campement du square Sainte‐Marie‐Perrin va‐t‐il perdurer ? La ville de Lyon travaille à une solution d’hébergement et de mise à l’abri, espérée avant le début de l’hiver. « Ce n’est pas encore gagné mais nous avons une bonne piste », confirme‐t‐on à la mairie du 3e, associée aux discussions. En attendant, celle‐ci a mis une salle à disposition depuis un mois pour l’aide scolaire, en plus des toilettes, des bacs poubelles et de l’accès au restaurant social à proximité.
Sur place, le Secours populaire, la Croix rouge, Médecins du monde et Muslim hands continuent de se relayer pour les besoins vitaux, de nourriture et de santé. Le collectif Soutiens/Migrants Croix‐Rousse appelle aussi aux dons pour acheter des médicaments. Parfois, ses bénévoles logent quelques jeunes du square au sec dans des squats qu’il gère quand des places se libèrent. Faute de mieux.