«Une maison fissurée non réparée est un drame»

«Une maison fissurée non réparée est un drame»

YVES MOALIC, RÉFÉRENT DE L’ASSOCIATION LES OUBLIÉS DE LA CANICULE

Depuis 2003, l’association Les Oubliés de la canicule accompagne les victimes de la sécheresse dans leur parcours d’indemnisation, souvent fastidieux. Elle réclame un traitement plus équitable des sinistrés et une adaptation du régime cat’nat’ face à ce risque croissant.

Quelle est la vocation de l’association Les Oubliés de la canicule, dans laquelle vous militez ?

Yves Moalic Militer est le bon mot. Nous faisons tout bénévolement, car l’adhésion doit rester gratuite. Notre objectif est d’offrir aux assurés un accès égalitaire au droit. J’en ai moi-même bénéficié. Ma maison, située à Semur-en-Auxois (Côte d’Or) a subi de forts dégâts en 2018 et, grâce à l’aide de l’association, j’ai pu obtenir l’indemnisation pour engager des réparations pérennes. L’opération coûtera au final presque aussi cher que la valeur de ma maison. Heureusement, mon assureur a été exemplaire. Mais ce n’est pas toujours le cas. C’est pour cela que je me suis engagé: une maison fissurée, s’il n’est pas possible de la réparer, peut constituer un drame. Des propriétaires allant jusqu’à condamner des pièces ou subissant des arrêtés de péril, rendant la maison inhabitable. Seule une indemnisation juste peut changer la donne.

Pourquoi devoir défendre les intérêts des propriétairesface aux assureurs ?

Y. M. Même en étant bien accompagné par un assureur, c’est une épreuve. Mais si le dossier devient conflictuel, c’est épuisant. Il n’est pas rare devoir des cas de divorce ou de dépression liés à la situation dans les dossiers que nous suivons. Or nous pensons que c’est aussi le rôle sociétal de l’assureur d’éviter d’en arriver à de telles extrémités. En parallèle, les assureurs ont un intérêt économique à financer des réparations pérennes : cela constitue un bon investissement, pour ne pas avoir à payer plus cher encore lors de prochaines sécheresses, quine manqueront pas d’arriver dans les années à venir.

Quels sont les points d’achoppement qui reviennent le plus souvent avec les assureurs ?

Y. M. Il y a vraiment deux étapes clefs sur lesquelles nous nous battons : d’une part, la reconnaissance de la sécheresse comme cause du sinistre et l’indemnisation permettant une réparation pérenne, d’autre part. Souvent les assurés se tournent vers nous après la première réunion avec l’expert envoyé par l’assureur, dont ils sortent complètement démoralisés. Ils s’entendent dire que les dégâts ne sont pas liés à la sécheresse, que les fissures sont provoquées par un arbre planté trop près ou encore à des eaux pluviales mal drainées. Pour nous, la première démarche est d’avoir une expertise complète et contradictoire. À notre échelle, nous recommandons systématiquement à nos adhérents des experts d’assurés indépendants, afin de pouvoir entrer dans un dialogue efficace avec l’expert de l’assureur. Un autre point d’achoppement porte sur la qualité de la réparation. Même quand l’expert de l’assureur reconnaît que la sécheresse est un facteur déterminant, il peut faire des préconisations de remise en état inadaptées.

Quelles sont les mauvaises pratiques les plus fréquentes en matière de réparation ?

Y. M. La première tentation est de réparer les seuls dégâts visibles, avec des reprises de fissures agrafées et des enduits refaits, sans traiter les fondations. C’est une catastrophe, car le risque de fissures de deuxième ou troisième génération, plus profondes, est énorme. La deuxième tentation est de recourir à de la résine expansive pour réparer les fondations. Le résultat immédiat est très flatteur. Mais si l’argile est agressive, avec plusde40%de plasticité, c’est-à-dire qu’elle se rétracte beaucoup en période de sécheresse et se gonfle tout autant quand le sol s’humidifie, le problème de fond ne sera pas réglé. Seuls des micropieux, positionnés à plusieurs mètres sous les fondations, peuvent alors enraciner correctement et durablement la maison. Cette reprise en sous-oeuvre est plus coûteuse et vaut parfois, dans les milieux ruraux, plus cher que la valeur vénale de lamai-son. Ce décalage soulève une autre question sur laquelle les assureurs eux-mêmes n’ont pas la main…

L’ indemnisation des maisons fissurées n’est pas la même sur le territoire ?

Y. M. La loi du 28 décembre 2021 (loi 2021-1837), censée mieux protéger les assurés, prévoit de manière assez logique sur le papier que les assurés soient indemnisés jusqu’à hauteur de la valeur vénale de leur bien au moment du sinistre. Mais, sur le terrain, cela crée une inégalité intolérable. Pour une maison dans l’ouest de la région parisienne, il n’y a aucun souci, puisque le prix de la maison est exorbitant. Pour une maison dans la Nièvre, a contrario, la réparation coûte presque toujours plus que la valeur vénale du bien. L’indemnité ne couvre alors pas les travaux à engager. Nous demandons un prix au mètre carré équitable qui protège l’assureur, mais qui garantit aussi une meilleure égalité des sinistrés devant le droit.

L’égalité de droit des assurés est une de vos raisons d’être. Quels autres combats menez-vous en ce sens ?

Y. M. Nous nous battons pour obtenir un accès à la justice plus égalitaire. L’expertise contradictoire devrait être obligatoire. Puis l’avance de 1 800 € devrait être financée pour les ménages les plus modestes. Enfin, quand la relation se judiciarise, les frais d’avocat à avancer sont en moyenne de 15 000 €. L’enjeu est de taille : les plus précaires renoncent très souvent et perdent tout. Leur maison ne vaut plus rien, alors qu’ils doivent encore la rembourser sur des années! Ils paient des mensualités dans le vent et n’ont plus de toit. La question d’égalité se pose, surtout dans le cas de catastrophe naturelle.

Près d’une commune sur deux se voit refuser un arrêté de cat’nat’ lié à la sécheresse. Faut-il revoir le régime ?

Y. M. Notre deuxième combat concerne justement les arrêtés de catastrophe naturelle. Ces derniers portent sur des villes entières, et sont basés sur des mesures moyennes par commune. Or, parfois, des fissures apparaissent sur des maisons de part et d’autre d’une même route. D’un côté, les résidences se trouvent sur une commune listée dans l’arrêté de catastrophe naturelle, et l’autre non ! Les habitants ont connu le même sinistre, mais certains ne pourront pas toucher un euro d’indemnité. Ce système, surtout dans un contexte d’aggravation des canicules touchant des zones inédites, est obsolète et source de profondes injustices.

La mission Langreney, dont le rapport est attendu en décembre, devrait formuler des propositions pour améliorer le régime et son financement…

Y. M. Le dernier combat est aussi le plus important : le financement ! Nous avons besoin des assureurs pour

l’emporter. Nous sommes d’accord avec eux pour dire que le modèle d’indemnisation des catastrophes naturelles n’est plus soutenable, sur la base même des chiffres avancés par le ministère de la Transition écologique : 10,8 millions de pavillons sont concernés par des risques de retrait et gonflement d’argile. Le système actuel, même s’il est basé sur une indemnisation supportée à moitié par les assureurs et à moitié par un fonds public de l’État, ne pourra certainement pas indemniser tout le monde. Il est urgent de se mettre autour de la table pour trouver ensemble une solution.