Des œufs contaminés à Lyon par des polluants éternels, les habitants ont « peur »

Des œufs contaminés à Lyon par des polluants éternels, les habitants ont « peur »

Les riverains de l’usine Arkema France au sud de Lyon s’inquiètent et se mobilisent, après des révélations sur la présence de polluants éternels dans l’air, l’eau et le sol, puis la recommandation de ne plus consommer des œufs de leur poulailler.

« Je suis passée par tous les stades : la peur, la culpabilité, le déni et maintenant l’indignation, raconte Pauline Mayel, propriétaire d’une maison à Irigny, au sud de Lyon, où elle habite avec son conjoint et ses deux enfants de 7 et 9 ans. Par conviction, j’ai toujours nourri ma famille avec les œufs que nous produisions et j’apprends cette année qu’ils sont contaminés ! ».

Tout commence il y a un an. Le 10 mai 2022, le journaliste Martin Boudot et son collectif organisent une réunion publique à Pierre-Bénite (au sud de Lyon) pour dévoiler en avant-première des résultats d’une étude scientifique réalisée à l’occasion de son émission d’investigation sur l’environnement « Vert de Rage », diffusée le 12 mai sur France 5. Le professeur de chimie néerlandais ayant supervisé les prélèvements y lance une alerte : « La ville est gravement contaminée par des perfluorés ».

Ces polyfluoroalkylés (PFAS), surnommés les « polluants éternels » car il ne se dégradent pas, sont utilisés pour leurs propriétés de résistance à la chaleur et imperméabilisantes. Ils pourraient provoquer des cancers du foie et de l’intestin mais aussi des malformations fœtales. Faute de recul et d’études en toxicologie à ce stade, le lien de causalité entre ces matériaux, le niveau de pollution et la nature des problèmes de santé qu’ils pourraient entraîner ne sont pas encore parfaitement établis.

Une industrie pointée du doigt

« J’ai arraché les fraisiers que j’avais plantés pour mes petits-enfants, raconte Thierry Mounib, président de l’association Bien vivre à Pierre-Bénite. Mon jardin a servi de lieu de collecte de données par l’équipe de Vert de Rage et j’ai été horrifié par les résultats, jusqu’à 8 fois supérieurs aux normes européennes. » Depuis, il demande que la transparence soit faite, notamment sur la responsabilité d’Arkema France, pointé du doigt dans l’enquête journalistique et implanté à quelques centaines de mètres de chez lui. L’entreprise est spécialisée dans la fabrication de produits dérivés de la chimie du fluor, utilisés ensuite dans le bâtiment, les énergies renouvelables, la climatisation, l’électronique, le génie chimique ou encore la pharmacie. L’industriel communique sur la sécurité de son installation et précise notamment que « le site de Pierre Bénite utilise de manière limitée un seul additif fluoré […] dont Arkema a décidé de cesser l’utilisation d’ici fin 2024 ».

Une vaste étude lancée, les résultats attendus dans quatre ans

En parallèle, les collectivités territoriales s’emparent du sujet de manière indépendante. En 2023, la métropole Grand Lyon a demandé une vaste étude environnementale et de toxicologie. Les résultats sont prévus dans quatre ans. La préfecture quant à elle, enquête sur les denrées consommables afin « d’objectiver la situation, de mieux connaître ces polluants émergents et leurs mécanismes, et de prendre les mesures nécessaires ». Les poulaillers de particuliers servent alors de terrain d’études. Les résultats sont alarmants et la préfecture recommande fortement de ne pas manger les œufs ou la volaille ; et ce dans pas moins de 15 villes alentour dont Lyon (7e et 8e arrondissement). D’autres études doivent suivre

Une action en justice

Arkema France encore une fois répond : « Les PFAS retrouvés dans les œufs pourraient provenir de sources multiples, comme par exemple, d’ingrédients présents dans l’alimentation des poules. » Pauline Mayel, quant à elle, après 12 ans de consommation et d’élevage bio, a décidé de limiter les risques : « Nous avions le taux le plus alarmant de la ville d’Irigny donc j’ai tout démonté. Mes poules vivent désormais en liberté. »

« Nous avons peur, abonde Stéphanie Escoffier, maman d’un bébé de 18 mois. Mon lait contenait 200 mg par litre de PFAS. »

Le seul point de comparaison possible en Europe est à Rotterdam (Pays-Bas), à proximité d’une usine de Téflon, où de tels prélèvement ont déjà été réalisés. Or, la moyenne PFAS retrouvés dans le lait maternel de mères habitant dans le sud de la métropole lyonnaise est deux fois plus importante que celle des femmes hollandaises (160,7 ng/kg contre 70,7 ng/kg). « Après avoir culpabilisé de ne pas avoir déménager pour mon fils, j’ai décidé d’agir et de me porter référente dans le cadre d’une action en justice contre l’industriel. » Claudie Grizard, une voisine a agit de même. « J’habite ici depuis plus de 40 ans et avec cette pollution je ne vois plus mon jardin – et mon corps – de la même manière, témoigne-t-elle. Je me sens trahie et je veux comprendre ce qui se passe. »

Stéphanie Escoffier (45 ans), Alice Béranger (40 ans), et Claudie Grizard (63 ans), voisines dans le quartier La Clavelière à Oullins, sont mobilisées. Elles demandent des études de toxicologie indépendantes. | OUEST-FRANCE, MORGANE RÉMY

L’action en justice est portée par l’association Notre Affaire à Tous qui enquêtait déjà sur la pollution d’Arkéma France dans cette vallée de la chimie, le long du Rhône. « Nous tentons d’utiliser un nouvel outil juridique appelé le référé pénal environnemental (RPE), qui permet de contraindre une entreprise à la réalisation de travaux afin de stopper les rejets illégaux, explique Camille Panisset, secrétaire de Notre Affaire à Tous Lyon. L’objectif est aussi de faire jurisprudence en démontrant la responsabilité de l’industriel, selon le principe de pollueur payeur. » Le référé devrait être déposé dans les prochains jours.