Héritage, divorce… les clés pour résoudre un conflit familial
« Séparation ou succession, c’est le moment où l’on règle ses comptes », annonce Nicole Prieur, psychologue, philosophe et auteure de Petits Règlements de comptes en famille (Ed. Albin Michel). Dans un couple, certains veulent obtenir compensation pour des années de sacrifice. Dans une fratrie, le deuil libère les rancœurs. « La mort du parent fait ressurgir toutes les jalousies gardées en mémoire pendant des décennies, poursuit l’experte. Je suis encore étonnée d’entendre des cinquantenaires frustrés du cadeau qu’ils n’ont pas reçu dans leur enfance. »
Combien de familles s’enlisent alors dans des conflits délétères ? Des successions malheureuses donnent lieu à des frais d’avocat plus élevés que les sommes disputées. Engorgement des tribunaux oblige, des procédures de divorce tumultueuses durent aisément trois ans, plus encore dans les grandes villes.
Pour éviter pareilles situations, un impératif : exprimer une bonne fois pour toutes non-dits et aigreurs, pour pouvoir ensuite traiter les questions d’argent de la manière la plus rationnelle possible. « Quand j’ai des clients qui me disent “c’est une question de principe”, je ferme le dossier et pose le stylo, raconte Olivier Piquet, notaire à Longjumeau (91). Dans ces situations, il est question de négocier et non de s’imposer. » Quelle que soit la nature du conflit, de bons réflexes comportementaux et juridiques peuvent alors jouer en votre faveur. Voyez plutôt.
Héritage
Faire reconnaître les dons déjà perçus
Maître Piquet l’admet, il n’avait pas vu la tornade arriver. « Trois frères et une sœur ont vécu coup sur coup le décès de leur mère puis de leur père, explique le notaire qui les a accompagnés. La première succession s’est passée sans encombre, mais tout s’est envenimé lors de la seconde. » L’élément déclencheur ? Une remarque d’un des héritiers, rappelant à son frère qu’il avait longtemps joui gratuitement d’un appartement des parents et que cela pouvait être déduit de sa part. La boîte de Pandore était ouverte : un deuxième a alors précisé que tel autre avait reçu une petite enveloppe, un troisième s’est ouvertement interrogé sur la disparition de bijoux…À LIRE AUSSIDonation déguisée : définition et conséquences
C’est un classique en psychologie, les rancœurs n’apparaissent vraiment qu’à la disparition du dernier parent. « Dans ce cas, il n’y a qu’une solution, faire les comptes, note Olivier Piquet. J’ai demandé à chacun d’apporter des preuves de ce qu’il avançait, mais, sans éléments probants, nous n’avons pu intégrer lesdites donations. » Dans une telle situation, afin d’appuyer ses allégations, il est possible de demander à la banque les relevés de compte du défunt pour repérer les virements importants, sur un historique maximal de dix ans.
Mais obtenir gain de cause n’a rien d’évident, loin de là. « Dans un dossier récent, une femme avait utilisé durant plusieurs années la Carte bleue de sa mère pour s’offrir près de 400.000 euros de cadeaux de luxe, relate un avocat. Pourtant, les cohéritiers n’ont pas vu ces sommes comptabilisées comme une donation, car la défunte ignorait cet usage et ne pouvait donc avoir “donné” cet argent en pleine conscience. »
Garder la résidence de son conjoint décédé
C’est l’histoire d’une veuve qui a cru finir en maison de retraite prématurément. L’an dernier, alors que son mari venait de décéder, ses beaux-enfants ont espéré récupérer l’appartement francilien de leur père. « Ils étaient fous de rage mais, à moins que le testament le stipule, ce n’est pas ce que prévoit la loi… », rappelle maître Nathalie Couzigou-Suhas, qui s’est occupée du dossier. Comme toute femme mariée, Madame a donc pu rester gratuitement dans la résidence principale durant un an et disposer de douze mois pour faire la demande d’y demeurer.À LIRE AUSSISuccession : quelle part pour le conjoint survivant ?
Concrètement, il s’agit d’adresser une simple lettre recommandée au notaire chargé de la succession. Celui-ci s’occupe alors de fixer l’indemnité d’occupation (en fonction du marché immobilier) pour dédommager les autres héritiers. Ce loyer est ponctionné sur l’héritage du conjoint survivant ; quand le legs est épuisé, l’occupation des lieux devient gratuite.
Obtenir la maison de famille tant convoitée
C’est un grand classique quand le hasard fait mal les choses. Si, au moment d’un héritage, aucun testament n’alloue précisément chaque bien à un descendant, le notaire se charge de créer des lots correspondants aux quotités de chaque légataire et organise un tirage au sort. Si vous n’obtenez pas la maison que vous souhaitiez conserver, vous allez devoir lancer les tractations. « C’est là que la médiation prend tout son sens », assure maître Saurin-Thelen.
Derrière le partage du patrimoine se cachent souvent des dettes émotionnelles. Ecouter l’autre, l’aider à s’exprimer, c’est lui permettre de lâcher prise sur ce que vous souhaitez obtenir. « La tâche est plus facile quand un héritier a suffisamment reçu de la vie avec sa propre carrière et sa propre famille, s’il est suffisamment nourri sur le plan psychologique et existentiel », observe la psychologue Nicole Prieur. Devant un juge, sinon, des arguments peuvent jouer en votre faveur : résider dans la maison convoitée (ou y avoir habité) ou l’avoir rénovée notamment.
Imposer un entretien des biens hérités
Cet avocat, pourtant habitué aux gros dossiers, en a eu des sueurs froides. Depuis plusieurs années, il gère une succession compliquée : une fratrie a récupéré un patrimoine immobilier considérable et ne s’entend sur rien. « Ils ne sont d’accord ni sur la répartition des biens, ni même sur les mesures conservatoires à mener en attendant de trouver une solution », explique-t-il. Résultat ? Le temps passant, l’état des appartements s’est largement dégradé. Ces situations de blocage ne sont pas rares et exigent de bons réflexes. Si le conflit se noue, empêchant l’allocation des différents legs, faites d’abord intervenir un commissaire-priseur pour estimer les biens et un huissier pour mettre des scellés.
Car oui, les chapardages entre cohéritiers de bijoux, pièces d’argenterie ou tableaux sont fréquents. Concernant un appartement ou une maison, vous pouvez décider seul de travaux, à condition qu’ils soient nécessaires à la conservation des lieux et engendrent des coûts de remise en état raisonnables. Gardez bien toutes les factures mais aussi les trois ou quatre devis préalables aux travaux. Toutes les précautions sont bonnes pour éviter que les dépenses ne vous soient réattribuées.
Faire reconnaître un bien à sa juste valeur
Voilà une discorde qui aura duré quinze ans. « Trois frères et une sœur ont hérité d’un immeuble en 2007, témoigne Olivier Piquet, qui a récupéré le dossier l’an dernier. Un des enfants souhaitait le racheter et les autres le vendre, mais ils n’étaient pas d’accord sur le prix. » L’acquéreur potentiel avait fait estimer le bien à 1 million d’euros. Les autres l’avaient fait évaluer selon le montant auquel il pourrait être racheté par un promoteur, quasiment le double.
Après des années de crispation, il aura fallu l’œil neuf de notre notaire pour résoudre l’histoire. « J’ai proposé de partager aujourd’hui la valeur de l’immeuble de 1 million d’euros, avec une soulte de 250.000 euros à verser immédiatement aux deux autres frères et à la sœur, développe le notaire. Puis, nous avons ajouté une clause de révision de prix, de 500 euros par mètre carré si un permis de construire était obtenu. » Un dispositif qui pourrait débloquer bien d’autres situations.
Contester un testament pour insanité
Vous suspectez un proche d’avoir manipulé un aïeul pour obtenir une belle part d’héritage ? Attendez avant d’exprimer ce doute à haute voix : si vous êtes assuré de créer un cataclysme familial, vous aurez en revanche très peu de chances d’obtenir réparation. Et cela, même avec des documents médicaux faisant état de l’incapacité de la personne âgée, car la preuve de l’insanité doit être établie le jour exact où le défunt a signé son testament. Des dossiers difficiles à défendre, donc.
Lors d’un procès récent, maître Jacques Kaplan a ainsi contesté un acte, et perdu. « Un expert ne pouvait pas exclure que la défunte soit saine d’esprit et des employés de maison ont témoigné avoir ‘“bien discuté” avec elle, raconte-t-il. Cela a suffi à ce que le légataire, extérieur à la famille, reçoive la moitié de cette succession. » Si vous soupçonnez que le testament n’est pas de sa main, en revanche, les choses seront un peu plus simples. « Dans ce cas-là, nous faisons intervenir des experts en graphologie pour prouver que le défunt n’a pas rédigé ledit texte », fait savoir maître Anaëlle Abitan.
Divorce
Avoir la garde des enfants
Des mauvais remakes de Kramer contre Kramer, les juges des affaires familiales en voient passer toute l’année. Utilisation de photos compromettantes, témoignages de proches accablants… Pour obtenir la garde de leurs enfants, des parents s’avèrent prêts à tout : mieux vaut se préparer au pire. La base ? Prendre un avocat et constituer un dossier de pièces variées prouvant une implication de tous les jours dans le foyer. Mais il faut aussi identifier ses points faibles : nettoyer ses réseaux sociaux en éliminant les photos fâcheuses, ces clichés de Nouvel An où on a un peu trop bu, par exemple, et préparer des réponses à certaines attaques probables (le témoignage d’un beau-frère sur ce fameux jour où le petit dernier a été égaré sur la plage…). « Inversement, on peut demander à des voisins d’attester que l’autre parent rentre régulièrement vers 22 heures, par exemple », suggère maître Sandrine Guez, du cabinet Avocats Picovschi.
Une fois devant le juge, même avec un dossier a priori en béton, ne jamais se montrer trop sûr de soi ou, pire, agressif. Il faut rester factuel mais sympathique, le relationnel avec le magistrat compte. Mais soyons clairs, le grand déballage peut être si violent et le verdict si incertain qu’avant d’en arriver au juge, un accord à l’amiable est toujours préférable, quitte à lâcher sur certains points.
Attention alors, tout doit être strictement retranscrit par écrit et, dans l’idéal, homologué devant la justice. « Lors d’un divorce par consentement mutuel, une mère avait accepté que la garde soit inscrite au bénéfice de son mari dans la convention de séparation, même s’ils s’étaient mis d’accord oralement sur un partage une semaine sur deux, relate une avocate. L’ex-conjoint avait insisté : “Fais-moi confiance, c’est plus simple comme ça”… Dès que la convention a été signée, il a souhaité faire appliquer le texte à la lettre. » Toujours se préparer au pire.
Obtenir une pension alimentaire
Cette enchère aura tristement marqué maître Nathalie Couzigou-Suhas. « Un père de famille, cadre, avait décidé de démissionner du jour au lendemain pour éviter de verser une pension alimentaire à son ex-femme, rapporte la notaire. Faute d’argent pour rembourser le prêt de la maison, celle-ci a été vendue à la bougie (aux enchères notariales volontaires), deux fois moins que sa valeur estimée. » Un beau gâchis mais, malheureusement, les ex-conjoints refusant de s’acquitter d’une pension ne sont pas rares.
Légalement, cette somme doit permettre d’offrir aux enfants le même niveau de vie, sous un toit ou sous l’autre, après une séparation : tout est bon pour illustrer l’environnement auquel ils sont habitués, des tickets de caisse montrant les marques et prix de leurs vêtements aux factures des cours de soutien scolaire. « Mais bien des femmes n’obtiennent pas la pension qui a été décidée par le juge et y renoncent de guerre lasse, décrit Michel Milan, directeur de projet au sein de l’association Divorcé(e)s de France. Elles ignorent trop souvent qu’il y a de nombreux recours possibles. »
D’abord, la Caisse d’allocations familiales peut gratuitement recouvrer les pensions en cas de retard de paiement et fournit, pour les parents isolés, une allocation de soutien familial minimale de 116,11 euros par mois et par enfant. Si cela ne suffit pas, un huissier peut être envoyé chez l’ex-conjoint (à ses frais !) : il peut demander jusqu’à six mois d’impayés et saisir ses biens. Au-delà, c’est le tribunal.
Faire respecter les conditions de garde
Voilà le genre de désagrément qui, dans le cadre d’une garde alternée, finit par rendre fou : les retards répétés d’un des parents au moment de prendre ou de déposer les enfants. « Mais il n’y a aucune raison de subir, prévient Jéremie Darmon, du cabinet du même nom. Il existe une bonne marche à suivre pour se faire entendre. » Préalable important : ne jamais refuser de laisser les petits à l’ex-conjoint, même si le retard semble inadmissible. Celui-ci pourrait attaquer pour kidnapping d’enfant, certains manipulateurs tentent même sciemment d’en arriver là. Il faut, en revanche, réagir dès les premiers écarts et signaler le problème par le biais de son avocat ou directement par recommandé au procureur. Si rien ne s’arrange, le juge doit être saisi pour que soit précisé dans la convention de séparation que le bénéficiaire renonce à son droit de visite s’il arrive avec plus d’une heure de retard pour un week-end ou 24 heures pour les vacances (sauf meilleurs accords).
Valoriser ses dépenses pour le ménage
Cette fois, maître Anaïs Goulpeau n’a rien pu faire pour son protégé… mais l’histoire peut au moins servir à d’autres. Son client a vécu durant des années chez sa concubine, propriétaire d’un appartement. « Pendant qu’elle remboursait son prêt, explique l’avocate, lui s’occupait de tout le reste : charges, électricité, essence, courses… Au moment de la séparation, elle s’est retrouvée détentrice d’un bien quasi payé, mais lui n’avait rien, même s’ils dépensaient presque autant chaque mois. »
Sans contrat de mariage ou en séparation de biens, vous ne pouvez compter que sur la bonne foi de votre ex-conjoint pour reconnaître l’aide financière apportée. Mieux vaut donc fuir ce genre d’arrangement et prendre rendez-vous chez un conseiller en gestion de patrimoine pour trouver plus équitable… tant que tout va bien.
Recevoir une prestation compensatoire
Le stratagème a beau être choquant, il n’étonne plus tellement cette avocate habituée aux dossiers de clans fortunés. Une de ses clientes, en pleine procédure de divorce, lui a demandé de l’aide : son futur ex-mari organisait artificiellement son insolvabilité pour ne pas avoir à lui verser de prestation compensatoire. « Il vendait des entreprises et en achetait d’autres pour que, sur le papier, il n’ait pas de quoi payer », détaille l’avocate.
Mais l’époux est tombé sur un os. Sa femme a réuni assez d’éléments pour démontrer que ses déclarations ne collaient pas à son train de vie : une photo récente de lui en train de déguster des mets de luxe, la preuve de loisirs onéreux ou encore un PV d’huissier faisant état des meubles et des bijoux présents chez eux… Résultat ? Elle a obtenu un versement plus important encore que ce qu’elle demandait initialement. Les juges des affaires familiales ne sont pas tendres envers ceux qui osent cette manœuvre et peuvent même être tentés de communiquer avec le parquet financier.
Retrouvez l’intégralité de l’article dans le magazine de février 2022.