DAF dans la fintech, l’accélérateur de carrière
Avant de devenir des licornes, les fintechs doivent franchir une étape essentielle : le recrutement de leur premier directeur financier. Pour ce dernier, c’est souvent l’occasion de sortir de l’audit et du conseil pour un poste de direction.
Il faut avoir le goût du risque pour quitter un Big Four de l’audit ou une grande banque pour rejoindre une start-up. Mais ça peut payer, surtout dans le domaine des fintechs et insurtechs, qui entendent révolutionner. Avec une telle promesse, les directeurs et directrices financiers veulent en être.
« Je ne voulais pas passer à côté de la révolution technologique de ces métiers, de mon métier », témoigne Margaux Gregoir (30 ans), chez Luko, une assurance d’habitation en ligne qui a levé 70 millions d’euros et salarie aujourd’hui 200 personnes, soit dix fois plus qu’il y a deux ans quand elle avait rejoint l’entreprise. « Je ne voulais pas passer ma carrière sur des technologies désuètes. Et je pense sincèrement que si je ne touche pas prochainement à la ‘blockchain’ ou à la cryptomonnaie, dans vingt ans je n’ai plus de métier. » Son avis est tranché mais aussi partagé par ses pairs. Pour autant, la première motivation à rejoindre une fintech demeure plutôt le sens de l’aventure et l’envie de quitter un secteur qui ronronne un peu trop.
Le secteur étant jeune, la plupart des directeurs financiers ont souvent commencé par une carrière traditionnelle. Ils ont même, pour la plupart, suivi la voie royale. Margaux Gregoir, par exemple, est diplômée de HEC et Sciences Po et a été recrutée dans la promotion 2015 de l’inspection générale à la Société Générale. « J’ai adoré ce poste, qui me permettait de satisfaire tout ce que je souhaitais : rembourser mon prêt étudiant, avoir accès à l’intégralité de la banque de détail et d’investissement et travailler à l’étranger – dans 16 pays différents ! – pendant un peu plus de quatre ans, témoigne-t-elle. Si faire de la finance dans un milieu financier m’amusait beaucoup – et m’amuse encore ! -, j’ai eu envie de faire et de prendre des risques. » En effet, l’inspection générale ressemble beaucoup à du consulting. « Je pouvais suivre la mise en oeuvre de mes préconisations et voir en interne l’impact de mes rapports mais j’ai aussi fait beaucoup de programmes de réduction de coûts… », conclut-elle.
Elisa Muntean (34 ans), sa consoeur travaillant chez Clubfunding, une plateforme de prêt participatif (crowdlending) qui vient de dépasser le demi-milliard d’euros investis, tient un discours similaire. « Après mon école de commerce, j’ai poursuivi par ce ‘fameux troisième cycle’ dans un Big Four, chez EY, raconte-t-elle. Puis je me suis fait classiquement débaucher par un client, la société d’investissement Wendel. » De gros paquebots, donc. « C’est très formateur mais j’avais envie d’impact, poursuit-elle. Quand je prenais des décisions, cela avait peu de conséquences sur la trajectoire de la société. » L’envie de mettre les mains dans le cambouis est en effet nécessaire. Ces entreprises recrutent une directrice ou directeur financier… pour créer la direction entière. La recrue est alors souvent le premier financier de l’entreprise et doit commencer par tout faire elle-même. « J’ai participé à des négociations de levée de fonds, paramétré des outils de gestion du cash et je recrute ma propre équipe », témoigne Elisa Muntean. Elle cherche d’ailleurs un trésorier.
Créer équipes et process
Chez Luko, les finances étaient alors intégralement à la main du directeur général. « J’arrive en mars 2020, en pleine crise Covid », contextualise Margaux Gregoir. Les souscriptions des assurances habitation étant liées aux déménagements, le chiffre d’affaires de l’insurtech plonge et tout l’écosystème, des équipes opérationnelles aux investisseurs, a des sueurs froides. « Il a fallu que je réalise un modèle de projection de cash dès le premier mois, et à distance avec le confinement, se rappelle-t-elle, qualifiant la période de ‘rock’n’roll’. Mais je ne me suis jamais sentie seule ; les équipes étaient même proactives ; j’étais bluffée ! » La croissance, depuis, est plus forte que jamais. Même histoire chez le courtier de prêt immobilier Pretto, qui vient de lever 30 millions d’euros cette année et affiche une croissance annuelle de 100 %. Avant la nomination d’un responsable financier, tout était externalisé. Nicolas Cherpantier (27 ans), arrivé il y a un an, a commencé à tout construire. « Ma première mission a été d’internaliser les process, puis de recruter », explique-t-il sobrement. La direction financière passera ainsi bientôt de deux à quatre collaborateurs.
« J’ai l’occasion de tout construire et c’est très grisant, ajoute Nicolas Cherpantier. C’est aussi très responsabilisant d’avoir ainsi l’occasion de choisir sa propre équipe. » Il craignait pourtant de s’ennuyer au moment où il a décidé de quitter, comme ses consoeurs, la voie royale. « J’étais chez EY ; je travaillais pour les plus grands groupes et je changeais de missions régulièrement, se rappelle-t-il. Je craignais que passer chez le client soit routinier et j’ai visé – à raison – le secteur des start-up. » A l’époque, il y a deux ans, il rejoint MailJet, une société de mailing marketing. « Mais nous avons été rachetés par une société américaine et je souhaitais avant tout mener des projets touchant une jeune entreprise en hypercroissance ! », raconte-t-il pour expliquer son choix de rejoindre Pretto. Il apprécie alors « un monde qui va très vite », la proximité avec des « dirigeants inspirants » et la possibilité de voir directement le résultat de ses décisions.
« Outre l’aspect forte croissance de ces start-up, dans ce secteur, ce qui est intéressant, c’est bien sûr la matière, rappelle Margaux Gregoir. Nous sommes au coeur du réacteur, avec des enjeux dignes de grands groupes en termes de risques et de ‘compliance’. » Du côté fintech, les enjeux sont similaires. « Nous avons des contraintes réglementaires fortes depuis que le ‘crowdlending’ s’est structuré, raconte Elisa Muntean. Et je dois parfois, aux côtés du fondateur, David Peronnin, résoudre des questions de business et de prises de risques complexes et ayant un enjeu fort pour l’avenir de la société. » Beaucoup de ces professionnels parlent alors de satisfaction intellectuelle. Mais attention, ce poste ne convient pas à tout le monde. Le prix à payer est double : le travail est intense et la rémunération est moins assurée qu’en restant dans la voie royale. Mais en misant sur le bon cheval, le pari peut aussi s’avérer très payant à un horizon de trois à cinq ans, grâce aux bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise (BSPCE), des stock-options à la fiscalité avantageuse.
Têtes recherchées
Pour la plupart des directeurs financiers actuellement en poste, l’opportunité s’est souvent présentée par le biais du réseau. La plupart ont sauté le pas grâce à des amis qui les ont recommandés à des fondateurs de fintechs ou insurtechs qu’ils connaissaient. Elisa Muntean (Clubfunding) mais aussi Margaux Gregoir (Luko) et Nicolas Cherpantier (Pretto) ont été recrutés de cette manière. « J’ai été mise en relation avec Raphaël (Vullierme, le fondateur de Luko, NDLR), explique Margaux Gregoir. Le week-end suivant, je travaillais sur une étude de cas, et en seulement deux semaines et quelques entretiens, j’avais le poste. »
Autre moyen d’entrer dans le jeu : les chasseurs de têtes (lire Témoignage). « Pour ces structures, le recrutement d’un DAF est primordial pour s’assurer que leur forte croissance est soutenable, souligne Mikaël Deiller, directeur senior des fonctions finances de Michael Page. Ce sont parfois les fonds d’investissement, après un tour de table où ils sont devenus majoritaires, qui nous sollicitent dans ce cadre-là. » Enfin, certains peuvent faire leur entrée au sein de la direction financière dès maintenant, parfois même dès la sortie de l’école. Une chose est sûre, la plupart des entreprises interrogées pour cette enquête continuent de recruter en ce moment !
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