L’affacturage trésorerie est victime de son succès

L’affacturage trésorerie est victime de son succès

Le marché ne cesse de croître mais ses marges se réduisent sous la pression concurrentielle.

« En 2015, nous avons eu besoin d’un financement simple et peu coûteux. L’affacturage s’est clai- rement imposé comme la bonne solution avec un taux Euribor 3 mois et 80 points de base, un coût de mise en place de 60.000 euros pour 40 millions d’euros de factures par mois et une négociation en deux coups de l ! » Le témoignage de Jean-François Vingre, directeur administratif et financier du groupe Chassis Brakes International (870 millions d’euros de chiffre d’affaires) illustre pourquoi l’affacturage a le vent en poupe auprès des entreprises françaises.

Peu chère et relativement simple, la cession de factures est devenue la première source de financement à court terme l’année dernière et a continué sur sa lancée en poursuivant son développement ces derniers mois. Les encours nancés ont crû de 11,5 % au premier semestre 2016, plaçant les grands acteurs français juste derrière ceux des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Ce dynamisme est porté par trois grands besoins.

Trois leviers de développement

L’affacturage sans recours, dit « déconsolidant », est de plus en plus demandé. Il consiste à céder ses factures a n de les sortir du bilan. La technique permet aux entreprises de répondre à des covenants de dette contraignants ou des objectif de désendettement ambi- tieux. « Près d’une ETI sur deux nous demande de travailler l’aspect déconsolidant de son contrat », ajoute Thibaut Robet, associé de Chateaudun Crédit, société de conseil en affacturage.

Le deuxième levier de développement est l’affacturage confidentiel. Il permet de céder ses factures sans que les clients concernés ne soient touchés d’une quelconque manière. Avec la promesse d’une relation commerciale intacte, beaucoup d’entreprises élargissent le nombre de créances confiées.

Le troisième grand levier est l’international. « Aujourd’hui, plus du tiers des factures achetées ne sont pas domestiques, témoigne Christophe Carles, directeur général de Natixis Factor. Nous pou- vons intervenir dans une quinzaine de pays et nous nous sommes récemment installés en Europe du Nord, avec une implantation au Danemark. » Cette tendance est générale puisque, selon l’association française des sociétés
nancières (ASF), l’activité des factors français à l’international représente aujourd’hui 29,1 % du total des opérations contre seulement 18,8 % il y a trois ans.

De plus en plus de PME intéressées

Plus balbutiant et représentant seulement 3,6 % du marché en 2015, selon l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), l’affacturage inversé attire tout de même l’attention des grands factors qui y voient le relais de croissance de demain. « S’ils ne sautent pas encore le pas, tous nos grand clients regardent ce sujet avec attention », note David Peyroux, responsable de l’activité global trade nance chez BBVA France. Le client de la banque peut à la fois soutenir ses fournisseurs et obtenir en retour des concessions sur les tarifs d’achats. « Nous l’avons découvert en Espagne où son équivalent, le con rming, est très développé, note Philippe Gaultier, trésorier groupe de la Compagnie d’affrètement et de transport (1 milliard d’euros de chiffre d’affaires). Cela fonc- tionne tellement bien que nous souhaitons l’industrialiser en Europe. »

Avec l’affacturage inversé, des petits fournisseurs bénéficient indirectement de ce type de nancement mais les PME sont aussi des prospects directs. Ces sociétés ont de plus en plus recours à l’affacturage pour financer un besoin de trésorerie. « Depuis trois ans, nous crois- sons de près de 20 %, souligne Olivier Berrée, directeur administratif et nancier de la société Asica (14 millions d’euros de chiffre d’affaires). L’affacturage complet nous permet non seulement d’avoir une ressource de financement disponible en permanence mais aussi un service de recouvrement et d’assurance crédit. »

Cet intérêt se développe, offrant ainsi une nouvelle poche de croissance aux grands factors. Seules 41.000 sociétés ont recours à l’affacturage sur près de 150.000 PME et ETI en France. « Nous sommes convaincus que ce mode de financement va continuer à se démocratiser auprès des PME, analyse Frédéric Brette, directeur général adjoint de Crédit Agricole Leasing & Factoring. Nous déclinons beaucoup d’offres pour ces clients, notamment l’affacturage confidentiel ligne à ligne pour les entreprises qui réalisent entre 3 et 10 millions d’euros de chiffre d’affaires. »

Des fintech se positionnent

Les plus petites entreprises peuvent aussi recourir à l’affac- turage pour nancer une forte croissance. « A la suite d’une acquisition qui multipliera par cinq mon chiffre d’affaires, le portant à 2,5 millions d’euros, j’ai dû nancer mon besoin en fonds de roulement », note Jacques Tissier, dirigeant de sa SARL spécialisé dans la restauration de monuments his- toriques. Il cédera entre 700.000 et 800.000 euros de facture en 2017 pour assurer cette montée en puissance. Mais plutôt que de recourir à une liale d’une grande banque, il fait appel à une start-up de la nance, une ntech. « J’ai essayé deux ou trois factors, mais la start-up Finexkap est la seule à m’avoir proposé une solution très modulable, avec une réponse dans les 48 heures », ajoute-t-il.

De nouveaux challengers comme Edebex, Urica ou Créancio ont débarqué sur le marché avec des solutions dématérialisées, simples et adaptées à de petites structures. « Le volume traité n’est pas assez significatif aujourd’hui mais nous les suivons de près, note Philippe Pougeard, directeur général adjoint de CGA. Ils peuvent clairement devenir des concurrents. »

Si ces challengers sont encore petits aujourd’hui, leur innovation sert déjà d’aiguillon aux grandes société d’affacturage. Simplicité, flexibilité et rapidité deviennent de nouvelles normes de la place. « Face à cette nouvelle tendance, nous avons énormément travaillé nos délais de réponse, témoigne Bozana Douriez, directrice générale et administratrice de BNP Paribas Factor. En parallèle, nous étudions des parte- nariats avec certaines ntech pour proposer le meilleur service en ligne à nos clients. »

De l’intérêt de monter en gamme

Cet intérêt est récent. « Au début, les ‘factors’ nous ignoraient, souligne Cédric Teissier, codirigeant cofonda- teur de Finexkap. Ensuite, ils ont montré de la curiosité. Depuis quelques mois, nous sommes approchés par les sociétés d’affacturage qui réalisent désormais que notre démarche est complémentaire. » Cette prise de conscience intervient dans un contexte de pression sur les marges, où l’innovation permet de jouer sur autre chose que la seule compétitivité-prix.

Car là est le paradoxe : si le marché ne cesse de croître, les marges, pour leur part, ne cessent de réduire. Selon le rapport de l’ACPR sur l’affacturage en 2015, elles ont atteint un niveau de 0,27 % seulement, contre 0,63 % sept ans plus tôt. « Depuis des années, la concurrence est forte, confirme Béatrice Collot, directrice de HSBC Factoring. Mais la qualité de service constitue un moyen très fort pour répondre aux besoins de nos clients sans rentrer dans l’engrenage de la course aux prix bas. »

S’ils s’en défendent, les grands acteurs dusecteur sont effectivement prêts à faire des efforts significatifs pour retenir leurs clients, voire en gagner de nouveaux, faisant du marché français un des moins chers d’Europe. « Cette année, le PNB du secteur est quasi- ment inchangé alors que le volume explose », résume Thibaut Robet, de Chateaudun Crédit. Le prochain dé de l’affacturage est donc de s’émanciper de cet effet ciseaux. La solution ? Monter en gamme, notamment dans le domaine numérique, pour préserver les marges.


Retrouver l’intégralité du dossier dans L’Agefi Hebdo du 10 au 16 novembre 2016