Traders en fixed income, la fin de l’âge d’or
Le trader fixed income (produits de taux et change) est-il une espèce en voie de disparition sur la Place parisienne ? BNP Paribas et la Société Générale emboîtent en tout cas le pas aux grandes banques d’investissement (Credit Suisse, Morgan Stanley, Goldman Sachs…) en réduisant la voilure dans ce segment. La première prévoit une quarantaine de suppressions de postes dans ses activités de marché, dont le fixed income (L’Agefi Quotidien du 9 mai 2016). Quant à sa concurrente au logo rouge et noir, elle supprimera 125 postes en France, principalement dans ses activités de marché comme le trading de taux (L’Agefi Quotidien du 5 avril 2016).
« Du fait des contraintes et de la pression imposées par le régulateur, l’activité fixed income est un marché fragilisé, analyse Marie Clark, associée au cabinet de chasse de têtes Vendôme Associés. Bâle 3 nuit notamment à la performance et à la rentabilité de ce métier. » A Paris, le nombre de traders fixed income (hors monétaire), au sein des principales banques françaises et étrangères, s’élève à moins d’une centaine. « Cette population n’est évidemment pas appelée à disparaître, nuance Marie Clark. Mais l’attractivité de la profession peut apparaître, pour un jeune diplômé, très relative. »
S’expatrier
Sur le marché parisien, les traders fixed income sont inquiets pour leur avenir. « J’ai construit ma vie en France, mais à tout moment mon ‘desk’ peut fermer, témoigne Cyril*, 38 ans, trader depuis sept ans dans une banque française. Déjà, mes journées de travail se sont raccourcies de deux heures chaque jour. » Si le ralentissement de l’activité pose question, ces profils demeurent néanmoins recherchés. Ils ont de nombreux atouts : la plupart d’entre eux ont à leur actif une double formation en ingénierie et en mathématiques appliquées aux marchés financiers reconnue à l’échelle mondiale ; ils sont souvent passés par des postes de « middle-office » exigeants pour la structuration de produits d’option de taux et de couverture ; ils ont l’habitude de concevoir le risque sur le long terme, avec des horizons parfois décennaux. « Si je m’inquiète de devoir déménager à cause de ma famille, j’ai déjà reçu des propositions plus rémunératrices à Londres », reconnaît Cyril.
Aujourd’hui, franchir la Manche est en effet un moyen aussi simple qu’efficace pour continuer d’exercer dans le fixed income, en particulier pour les jeunes traders. A une réserve près, les coupes claires dans les banques touchent largement aussi la City. « Déjà en 2014, quand je cherchais un poste à la suite de mon premier emploi en CDD chez HSBC, les embauches en ‘trading’ étaient gelées, se souvient Aymeric, 25 ans. Heureusement, la banque est présente partout dans le monde et elle m’a offert une opportunité en ‘fixed income’ à Londres. » Ce qui lui a permis de poursuivre ce métier qu’il apprécie. « Si je me suis spécialisé dans le ‘fixed income’ au hasard de mes stages, c’est parce que j’aime me retrouver au coeur de l’actualité de politique économique, des décisions de la Banque centrale européenne à celles, fiscales, des Etats, en passant par le suivi de la santé financière des grands groupes », précise-t-il. En partant pour le Royaume-Uni, son salaire a grimpé de 30 %, afin de couvrir un coût de la vie plus élevé. Si le bond salarial d’un nouvel expatrié n’est plus aussi conséquent qu’il y a quelques années, la City offre relativement plus de perspectives de carrières que Paris. « Aujourd’hui, je suis content d’avoir trouvé ma place dans une équipe de trading et d’avoir établi une relation de confiance avec mes managers, conclut Aymeric. J’espère que cela continuera et que je pourrai devenir moi-même responsable d’équipe. » Hong Kong peut paraître plus attractif encore, avec des salaires qui sont multipliés par deux ainsi qu’un taux d’imposition plus faible. « Cependant, avec le coût de la vie, j’épargne finalement autant qu’en France, témoigne Franck, en poste dans une grande banque anglo-saxonne depuis quatre ans. Je suis surtout allé à Hong Kong pour un poste plus intéressant, avec des produits financiers plus ambitieux. » L’approche des risques et la réglementation étant moins contraignantes en Asie, les traders peuvent en effet être plus créatifs.
Monter en compétence
L’autre piste porteuse pour de jeunes traders de taux est de s’orienter vers une nouvelle discipline : le trading algorithmique. « Toutes les banques parisiennes sont en train de se mettre au goût du jour en la matière, car cette méthode est non seulement favorisée par le régulateur, qui estime les ordres électroniques plus simples à contrôler que des appels téléphoniques, mais aussi par le top management de la banque, qui réalise que ce type de trading est le plus rentable », déclare Callum, un polytechnicien qui travaille au sein d’un grand établissement bancaire français à Paris. Le « goût du jour » ? Il s’agit d’automatiser une partie des ordres. Par exemple, lorsqu’un client fait une demande de produit de taux ou de devise pour se couvrir à l’occasion d’un crédit, cette requête pourra être traitée directement par un algorithme. « Ces formules mathématiques sont aujourd’hui complètement à construire », remarque Callum.
Cette spécialité, sous l’effet du besoin croissant du marché, est porteuse. Néanmoins, si le salaire fixe est comparable à celui d’un trader junior – entre 40.000 et 65.000 euros brut annuels -, la partie variable est souvent très inférieure. Cette piste n’est donc pas envisageable pour les traders les plus seniors. Ces derniers, avec dix ans d’expérience, émargent généralement à plus de 100.000 euros de salaire annuel, avec un bonus plafonné à hauteur de 100 % de leur fixe. « Pour progresser, les meilleurs peuvent alors devenir responsables d’une activité au sein de la salle de marché, indique Danielle Nassif, principal au sein du cabinet de chasse de têtes Kienbaum Consultants International. Si une sélection s’opère, il y a encore des perspectives en interne. » En prenant du galon, les professionnels peuvent ainsi atteindre un fixe de 150.000 euros, la part variable progressant également. Cette possibilité est abordable dans certaines banques qui, quelques années après des restructurations, réalisent qu’elles ont de nouveau besoin de recruter pour stabiliser une équipe qui reste somme toute indispensable.
Se reconvertir
Pour ceux qui ne bénéficient pas de telles opportunités en interne, la reconversion est encore possible. « Leur profil technique est fortement apprécié et les passerelles sont nombreuses : gestion des risques dans leur banque, passage au ‘buy-side’ ou encore gestion de fonds, détaille Danielle Nassif. En interne, tandis que les ‘desks’ de ‘fixed income’ s’affaiblissent, la gestion des risques continue à se renforcer au sein des banques. » Un transfert s’opère alors assez naturellement de l’un à l’autre, en interne. Certains ont sauté le pas avec succès. « J’ai fait douze ans de ‘trading fixed income’, sans jamais m’ennuyer, note le quadragénaire Thibault. J’ai vécu la belle époque, avec la phase d’extension de ce trading dans les années 90 et 2000, puis je me suis reconverti au sein de ma banque en ‘market risk manager’. » Son salaire a chuté entre les deux, mais il juge son poste plus intéressant. « Cela m’a permis de prendre de la hauteur et d’avoir une vision sur plusieurs activités de la banque, dit-il. Sans compter que ma qualité de vie s’est sensiblement améliorée. »
Enfin, une voie est souvent sous-estimée : celle de la gestion de trésorerie en entreprise. « Il y a des besoins car aucun trader ne pense à cette possibilité », constate Gaétan, trader fixed income au sein d’un groupe spécialisé dans l’énergie, qui s’imagine ensuite évoluer dans l’entreprise, au sein de la direction financière, ou ailleurs. « En tout cas, si cela ne fonctionne pas, je peux à tout moment partir, confie-t-il. Je suis contacté très régulièrement par des chasseurs de têtes. » Cette piste, rarement considérée dans le cadre d’une reconversion, semble pourtant prometteuse.
Article publié dans l’Agefi Hebdo, 19 mai 2016
Crédit photo/ CC/ Ricardo Torres Kompen