Joseph-Marie Jacquard, icône de la modernité industrielle
Le musée des tissus de Lyon a dédié une exposition à Joseph-Marie Jacquard, à l’occasion du 180e anniversaire de sa mort. Le musée se pose la question de la construction de l’image de celui qui fut l’inventeur de l’incontournable métier à tisser.
Un industriel peut aussi être une icône: Voilà ce que rappelle le musée des tissus de Lyon avec son exposition temporaire, qui se tient jusqu’au 4 janvier 2015 : Jacquard, point à la ligne. Dans le cadre du festival Labelsoie, qui promeut la richesse de l’industrie de la soie, l’exposition met en exergue comment le mécanicien Joseph-Marie Jacquard, inventeur du métier à tisser, a incarné l’innovation industrielle mais aussi un certain humanisme.
C’est d’ailleurs pour ces valeurs que la ville de Lyon commanda en 1831 son portrait, afin de redorer l’image de la ville et de l’industrie du texte, après la première révolte des canuts durement réprimée. La mairie demanda alors à Jean-Claude Bonnefond, directeur de l’École des Beaux-Arts de Lyon, de réaliser un portrait d’envergure de Joseph-Marie Jacquard. Peint de son vivant, le mécanicien est alors représenté humble, entouré de symboles, presque auréolé.
Cette dernière, si elle lui permettait de vivre décemment, ne lui a pas offert la richesse qu’il aurait pu obtenir en vendant son invention directement aux patrons des ateliers des pentes de la Croix-Rousse.« Son objectif était de soulager les ouvriers tireurs de lacs, qui avaient pour tâche de soulever les fils de chaîne pour permettre le passage de chaque ligne de trame par les tisseurs », explique Claire Berthommier, chargée des collections du musée des tissus et du musée des arts décoratifs de Lyon.
Un symbole de modernité industrielle…
Le portrait représente également l’homme entouré de ses outils de travail, comme le compas, et ses réalisations, comme la fameuse mécanique dont il a équipé les métiers à tisser, ainsi que les cartons perforés programmant le tissage. Cette innovation n’est, comme souvent, pas une pure invention mais se base sur l’état de l’art de l’époque. Il s’inspire notamment du travail des travaux de Basile Bouchon, inventeur du ruban perforés et améliore la technologie.
En combinant ces progrès technologiques en un seul mécanisme, relativement facile à installer dans les ateliers, le succès de sa machine est immédiat. Les industriels s’en emparent pour produire mieux et plus vite. L’homme a également reçu la croix de légion d’honneur – représentée sur sa veste, dans le tableau – et la médaille d’or que le roi Louis XVIII lui a remise en personne en 1819 (elle est présentée dans l’exposition).
C’est cette heure de gloire que le portrait tente de faire revivre. « Son apport symbolise la modernité mais aussi la capacité à se relever de périodes mouvementée comme la révolution française puis la première révolte des canuts », précise Claire Berthommier. L’image est reproduite en gravures, peintures et… taffetas de soie, évidemment. Entre la reproduction d’une icône religieuse et celles du pop art wahrolien, l’image de Jacquard devient le symbole même de la fabrique lyonnaise dans les années 1830.
Cette reproduction quasi frénétique illustre aussi à quel point Jacquard fut érigé en héros national, presque comme un saint laïc. Elle le fut pour des raisons politiques : montrer une image moderne et innovante de l’industrie, tandis que la seconde révolte des canuts gronde encore l’année de la mort de l’ingénieur, avec pas moins de 6 000 ouvriers dans la rue en 1834.
180 ans plus tard, si on reconnaît que cette image de génie républicain a été construite, l’histoire de Joseph-Marie Jacquard demeure toujours un message positif d’innovation et de pugnacité très actuel :
Pour aller plus loin : L’article de l’historien François Jarrige, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne, sur Le martyre de Jacquard ou le mythe de l’inventeur héroïque.