Les « DAF » se livrent clé en main

Les « DAF » se livrent clé en main

14579538441_0b2b5e16da_oLes directeurs financiers en temps partagé exercent une mission encore méconnue mais de plus en plus demandée de la part des patrons de PME.

J’ai eu, durant la première grande partie de ma carrière, un parcours financier très standard, dans l’audit chez PwC, ensuite comme directeur financier de Ciel, une filiale de l’éditeur de logiciels Sage, puis en tant que directeur financier du groupe pour l’Europe et l’Asie. J’ai progressé très vite, accédé à des postes passionnants et toujours bénéficié d’une forte reconnaissance de ma hiérarchie… jusqu’à ce qu’on me demande de quitter mon poste. »

En 2011, son licenciement inattendu malgré des bilans très positifs fut un choc pour Xavier Milin, 47 ans aujourd’hui. Pour se remettre d’aplomb, il suit une formation à l’Insead et cherche à donner un nouveau sens à son métier. « Pour moi, ce sens fut d’aider les entrepreneurs à accéder à des compétences financières devenues clés et de m’engager auprès d’entreprises qui constituent plus que jamais le moteur de notre économie actuelle », raconte avec fierté celui qui a créé Basics Finance, une société qui s’est spécialisée dans les services de directeurs financiers en temps partagé.

Une expertise accessible

Le plus souvent, un « DAF » en temps partagé travaille pour plusieurs PME, réalisant entre 20 et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Ces dernières se trouvent dans une situation complexe : elles commencent seulement à avoir des besoins de conseils financiers, en plus de l’expertise comptable à laquelle elles recourent traditionnellement, sans pouvoir se doter d’un directeur financier à temps plein ou des services d’un grand cabinet de conseil.

Le temps partagé est alors la solution. Il permet de répondre à des problématiques de recherches de financement, de structuration de processus financiers, voire même de prévoir une introduction en Bourse. Les patrons de PME sont logiquement en quête d’un professionnel expérimenté. A cette fonction aussi stratégique que sensible, les employeurs cherchent une personne capable d’être opérationnelle dès le matin de sa prise de poste. La moyenne d’âge de ce métier se situe donc légèrement au-dessus de 50 ans. Les financiers seniors, quant à eux, y trouvent une belle alternative pour leur seconde partie de carrière… le plus souvent suite à un accident de parcours.

L’histoire de Thierry Le Chapois en est la parfaite illustration. Licencié suite à la reprise par un actionnaire chinois de la société pour laquelle il travaillait en tant que directeur administratif et financier, il reste dix mois sans activité. « J’avais 53 ans, j’étais basé dans la métropole lilloise : mes chances de retrouver un poste similaire étaient très faibles, se souvient-il. Et pourtant ! » Et pourtant, devenir directeur financier en temps partagé lui a permis de sortir de cette situation par le haut. « Au départ, c’était clairement un choix par défaut, reconnaît ce professionnel âgé de 57 ans. Mais ce fut finalement une belle opportunité et la meilleure façon de poursuivre ma carrière. »

Une indépendance importante

Depuis quatre ans, il réalise des missions allant de six mois à plus de trois ans et demi, en conservant le métier qu’il aime et en gagnant de la liberté. La recherche d’équilibre entre vies privée et professionnelle guide souvent ces choix de parcours. « J’apprécie beaucoup de pouvoir gérer mon temps, d’en disposer dans une certaine mesure pour ma vie associative et familiale, ce qui me tient beaucoup à cœur », témoigne Marie-Hélène Marot, associée au sein du groupe Finaxim, un réseau créé en 2000 qui rassemble notamment des DAF indépendants. « Après des années à des postes classiques, j’aime la liberté que ce métier m’apporte, confie pour sa part Frédéric Texier, fondateur de Supernap Conseil. Je peux travailler chez le client, chez moi, où je le souhaite. »

Surtout, cela lui a permis de se diversifier : « Après plus de 15 ans dans la presse, je souhaitais élargir mon champ d’action sans pour autant renoncer à mon expertise. » Pari réussi : ce professionnel de 52 ans travaille aujourd’hui pour deux PME de presse, mais aussi deux autres secteurs d’activité. Son homologue, Guy Degeorges, fondateur d’En Bref, ne dit rien de moins. Il s’enthousiasme en décrivant son programme des jours à venir : « J’aime le fait de travailler aujourd’hui pour une start-up web, demain pour un accélérateur de particules et après-demain pour un distributeur de lunettes. C’est une richesse incroyable, loin de la routine. »

Le pendant de cette liberté est l’indépendance et donc la recherche de ses propres clients. « Mes débuts, en 2011, n’ont pas été faciles, nuance Xavier Milin, fondateur de Basics Finance. Mais j’ai développé mon réseau et les besoins sont plus forts que jamais. » Le plus important, au départ, est en effet de se forger un réseau. Ou plutôt des réseaux. Le premier à ne pas négliger est le réseau personnel : parler de son activité à ses proches, à son équipe de handball ou à des dîners permet de promouvoir son métier. Ensuite, les réseaux professionnels, aux premiers rangs desquels la DFCG (Association nationale des directeurs financiers et de contrôle de gestion) et la CGPME (Confédération générale des petites et moyennes entreprises), permettent d’être identifiés dans le microcosme local.

Prospection commerciale

Enfin, il faut convaincre des prescripteurs, qui pourront recommander des directeurs financiers aux entreprises. Il s’agit des banques, des cabinets d’audit mais surtout des cabinets d’expertise comptable. Au bout de quelques années, les meilleurs prescripteurs sont les clients eux-mêmes ! Autre avantage du métier : très rapidement, au bout de quelques mois seulement, un directeur administratif et financier « à la carte » peut prétendre à entre 75.000 et 150.000 euros de rémunération annuelle. Celle-ci équivaut le plus souvent à celle de ses confrères en poste fixe. « Entre 80 % et 100 % de temps de travail, nous récupérons notre salaire », commente Xavier Saint-Marc, de DSM Gestion. La journée de travail est facturée entre 800 et 1.200 euros, le plus souvent sous forme d’honoraires, en fonction de la difficulté et de l’urgence de la mission.

Néanmoins, les limites, pour une rémunération égale à celle d’un directeur financier salarié, ne sont pas négligeables. D’abord, le risque de période de vacance est complètement porté par le professionnel lui-même. Ensuite, le temps de travail en entreprise ne comprend pas les tâches annexes de l’entrepreneuriat, allant des simples démarches administratives à la prospection commerciale. Enfin, les possibilités d’évolution sont maigres. Pour aller plus loin, les directeurs financiers en temps partagé doivent aller au-delà de leur seul poste. Ils ont deux possibilités d’évolution : devenir directeur général, en temps partagé ou de façon définitive, ou trouver du business pour des confrères et consœurs.

En apportant des affaires à d’autres directeurs financiers, mais aussi à des directeurs des ressources humaines ou des systèmes d’information, ils profitent d’un relais de croissance. « Chez Finaxim, lorsqu’un professionnel apporte une mission à l’un de ses confrères ou consœurs, il bénéficie en moyenne d’une commission de 10 % », souligne Marie-Hélène Marot. Afin de ne pas manquer les occasions commerciales et d’être en mesure de répondre à tous les besoins des PME, les DAF indépendants se comportent de plus en plus comme de vrais chefs d’entreprise, montant des équipes complètes (finance, mais aussi marketing, ressources humaines, informatique…) autour d’eux, comme chez Finaxim ou Atlays (lire le témoignage de Stéphane Fay).

En parallèle, pour structurer cette profession libérale, la DFCG met sur pied un label qualité pour distinguer les directeurs financiers en temps partagé. « Nous voulons surtout montrer aux PME qu’elles peuvent travailler avec des professionnels dont les compétences sont reconnues », explique Guy Degeorges, à la tête de la commission sur les directeurs financiers en temps partagé de la DFCG. Ce label devrait être lancé l’année prochaine. Une affaire à suivre.


Retrouvez l’intégralité du dossier dans L’Agefi Heddo du 10 au 16 novembre 2016

Crédit photo : Flickr / CC / Karen Kirby