Quand les patrons (se) la racontent

Quand les patrons (se) la racontent

De plus en plus de chefs d’entreprise dévoilent leur parcours entrepreneurial dans des récits où ils mêlent habilement souvenirs personnels et retours d’expérience. Au-delà du Storytelling, on peut y puiser des conseils inspirants. 

Les ouvrages d’un genre nouveau essaiment sur les rayons des libraires. Comme, récemment, ceux de Peter Thiel, le fondateur de PayPal (De Zéro à Un, JC Lattès), ou de JeanBaptiste Rudelle, le créateur de Criteo (On m’avait dit que c’était impossible, Stock). En France, ces récits se sont écoulés, en seulement quelques mois, à plus de 5000 exemplaires. Loin de la classique (et barbante) biographie de chef d’entreprise, ils prennent la forme d’épopées au style enlevé, dans lesquelles le personnage principal est un patron en proie à de multiples mésaventures entrepreneuriales.

Outil marketing

Cette méthode de communication, de plus en plus utilisée, vise à incarner une entreprise ou une marque à travers l’histoire d’un héros fondateur. C’est ce qu’on appelle le «Storytelling». Les stars du genre sont indubitablement Mark Zuckerberg et Steve Jobs. Et ce dernier en est à la fois le pionnier et le maître inégalé. Il a su raconter son parcours avec brio en respectant le déroulé d’un récit classique, à savoir un étatinitial (un jeune ingénieur qui grandit dans une banlieue américaine), un élément perturbateur (des ordinateurs trop complexes), des rebondissements (Steve Jobs est licencié de chez Apple) et un dénouement heureux (la réussite de la marque à la pomme).

Une recette reprise dans de nombreux ouvrages, dans lesquels la vie du fondateur forme ainsi la colonne vertébrale de l’histoire de la marque. Le storytelling devient alors un puissant outil marketing. «Cela permet de donner du corps à l’entreprise, de partager des émotions et donc, infine, de vendre», analyse Olivier Mathiot, coprésident de France Digitale et président de Price Minister,

Emotion d’abord

Les entrepreneurs (surtout ceux du numérique) savent raconter leur histoire depuis toujours. Comme les hommes politiques, ils doivent souvent convaincre sur la seule base d’une idée et de leur personnalité. Les publics à séduire ? Les investisseurs d’abord, les clients ensuite, et de futurs collaborateurs tout au long de l’aventure.

Si cette méthode a longtemps été l’apanage des Américains, les Français s’y mettent, à l’instar de Jean-Baptiste Rudelle, le patron de Criteo. «Le personnage est atypique, avec un vécu riche en rebondissements propices à une bonne dramaturgie, capable de faire vibrer le lecteur», dévoile Sylvie Delassus, son éditrice chez Stock. Cette dernière lui a même demandé de changer la structure de son livre pour commencer par l’aspect émotionnel, afin de permettre au lecteur de s’identifier dès les premières pages, et de repousser les chapitres analytiques à la fin. «Elle me répétait sans cesse que je devais m’exposer, mettre un morceau de moi-même dans mon bouquin», se souvient Jean-Baptiste Rudelle, qui évoque dans son récit des événements douloureux et intimes (la mort précoce de sa sœur) et des périodes de doute (notamment quand Criteo présente à ses investisseurs un chiffre d’affaires de 3 euros)…

Mythes et dramaturgie

Même le discret Peter Thiel joue le jeu du storytelling et de l’anecdote savoureuse. Dans son livre, il met ainsi en scène sa rencontre avec son meilleur ennemi, Elon Musk (le patron de Tesla et de SpaceX), en février 2000. L’objectif du rendez-vous? S’allier pour faire face à une crise financière imminente. Comme dans un western, la réunion se déroule «en terrain neutre», dans «un café quasi équidistant de nos deux bureaux». Et d’ajouter ce conseil qu’on imaginerait bien sur les lèvres de John Wayne : «Il n’y a pas de demi-mesure: soit on ne joue pas des poings du tout, soit on frappe fort pour l’emporter rapidement.»

La Silicon Valley, nouveau théâtre de la conquête de l’Ouest… «La Californie est devenue un lieu de mythes, où les plus malins peuvent devenir millionnaires», analyse Monique Dagnaud, qui a publié chez Odile Jacob Le Modèle californien. Comment l’esprit collaboratif change le monde. Avoir une belle histoire et savoir la raconter permet donc d’émerger sur un marché très concurrentiel et de se différencier.

Happy-end de rigueur

Pour les lecteurs, ce type d’ouvrages est l’occasion d’apprendre de patrons expérimentés — qui relatent leurs réussites comme leurs échecs —avant de se lancer à leur tour. Ces livres sont en effet émaillés de retours d’expérience, de conseils et d’astuces pratiques. Peter Thiel raconte ainsi comment il rémunérait les premiers utilisateurs de PayPal 10 dollars par ouverture de compte, pour sauver l’entreprise qui coulait faute de clientèle… Une technique utilisée aujourd’hui par de nombreuses banques en ligne.

Les aventures et les conseils distillés dans ces livres d’entrepreneurs mèneront peut-être à de nouvelles histoires qui passeront à la postérité. Mais attention : sachez que seuls seront retenus ceux qui ont un happy-end.

 


Retrouver l’article complet, dans le Management n°246, novembre 2016

Crédit Photo. Flickr. CC. Daniel Wehner