Private equity, les femmes défient le plafond de verre

Private equity, les femmes défient le plafond de verre

Celles qui ont atteint les plus hauts niveaux de responsabilités dans le capital-investissement veulent accélérer le mouvement de féminisation.

Dans le capital-investissement, un investisseur sur cinq est aujourd’hui une femme. 21 % exactement, selon l’enquête de Deloitte et Afic avec Elles. Ce réseau, créé au sein de l’Association française des investisseurs pour la croissance, a en effet lancé un baromètre pour démontrer de manière chiffrée que les femmes sont encore trop peu présentes dans ce secteur qui finance l’économie réelle. « Six ans après notre création, le milieu progresse mais encore trop lentement », regrette Alexandra Dupont, présidente du réseau. En 2015, les recrutements de femmes ont représenté 28 % des embauches au sein des équipes d’investissements, dont les membres deviennent actionnaires de start-up, PME ou ETI pour le compte d’un fonds ou d’une société de gestion. Si le ratio est donc supérieur à celui de la féminisation actuelle des équipes, traduisant un réel progrès, il ne suffit pas à combler le retard du secteur.

Certaines sociétés de gestion sont encore très masculines. Celles qui arrivent à accueillir des femmes, commencent souvent par les fonctions supports. « Chez ACG Management, nous avons 18 femmes pour 38 salariés mais seulement 4 femmes sur 18 investisseurs, témoigne Isabelle Poulet, directeur exécutif outre-mer chez ACG Management. J’ai eu l’impression que je devais m’appuyer sur une forte expertise et expérience pour évoluer dans ce métier que j’apprécie beaucoup et pour être crédible vis-à-vis de mes interlocuteurs. » En effet, les femmes sont souvent plus exigeantes envers elles-mêmes, afin d’être reconnues dans une profession où la culture n’est pas toujours portée sur le sujet de la mixité. Ainsi, certaines témoignent sous couvert d’anonymat, et très souvent en dédramatisant des situations qui ne sont heureusement pas la norme : « Il arrive encore qu’un chef d’entreprise me tende son manteau, me prenant pour l’assistante » ; « Quand j’étais jeune, mes responsables me demandaient souvent d’aller chercher le café sur un ton humoristique, ce que je refusais poliment » ; « Il arrive que l’on se tourne plus volontiers vers le collaborateur que j’encadre que moi, au premier contact ». Souvent anecdotiques, ces histoires témoignent néanmoins des efforts qui restent à produire.

Des politiques volontaristes

De fait, certains acteurs n’attendent plus des femmes qu’elles y arrivent seules. Une entreprise sur dix (13 % exactement) met en place des politiques plus volontaristes pour lever les freins qu’elles peuvent rencontrer dans leur carrière. Et même si ces politiques peuvent paraître banales, elles montrent que les professionnelles sont soutenues. Il n’est pas rare que les sociétés de gestion accompagnent les jeunes mamans par exemple. « Nous réfléchissions à la mise en place des Chèques emploi service pour la garderie », indique Pascale Charpy-Moore, responsable du développement des ressources humaines du Crédit Agricole Sud Rhône-Alpes. Chez ce dernier, les femmes représentent seulement 17 % des cadres supérieurs, mais dans sa filiale commune avec la caisse des Savoie, Crédit Agricole Alpes Développement, l’équipe de sept investisseurs compte trois femmes. Une parité presque parfaite. « A 41 ans, je reviens d’un troisième congé maternité sereinement, témoigne Cécile Exertier, chargée d’investissements chez Crédit Agricole Alpes Développement. L’environnement de travail me permet de me replonger dans ce métier passionnant. » Cette dernière apprécie particulièrement d’accompagner les entrepreneurs du territoire, grâce à un investissement sur fonds propres de la banque, tandis que son entreprise lui offre la flexibilité nécessaire pour s’organiser.

Eurazeo va pour sa part plus loin et s’impose d’avoir toujours un candidat et une candidate au moment d’un recrutement. « Si nous choisissons évidemment sur le critère seul des compétences, cela nous permet de faire mieux que la moyenne », explique Sophie Flak, responsable RSE de la holding cotée. Avec 28 % de femmes dans les équipes d’investissement – 7 points de plus que la moyenne – pour 54 % dans les équipes corporate, le travail de rattrapage est en effet encore nécessaire.

Comme la plupart des sociétés de gestion ont besoin de féminiser leurs équipes, les candidates ont un avantage certain. « A compétences égales, pour les postes opérationnels, nous essayons de privilégier une femme », confie Martine Sessin-Caracci, managing partner, en charge des relations investisseurs chez Omnes Capital. Les jeunes femmes peuvent alors en bénéficier. Comme Mia Lauranti, 30 ans, qui, si elle a toujours été recrutée pour ses compétences, a senti que le secteur devenait plus favorable. « J’ai rencontré plusieurs équipes d’investissement qui cherchaient des femmes pour améliorer la parité de leurs équipes », déclare cette chargée d’affaires senior chez A Plus Finance dans une équipe de cinq investisseurs, dont quatre hommes. Son directeur général, ne dit pas autre chose, avec une nuance cependant : « Personnellement, je mets tout en œuvre pour rééquilibrer nos équipes d’investisseurs mais nous manquons de candidatures », explique Fabrice Imbault. Malgré une volonté affichée de mixité, le cabinet de chasse de têtes a proposé lors du dernier recrutement 40 CV… tous masculins. Ce scénario est extrême, mais loin d’être anodin. « Nous sommes en train de recruter un analyste en ce moment et nous avons reçu plus de 600 CV, illustre Laure Lamm-Coutard, 36 ans, directeur et membre de l’équipe d’investissement d’Eres, une des franchises de fonds de private equity du groupe Edmond de Rothschild. Si nous avons récolté plus de 100 CV de femmes, c’est bien le maximum. »

Des parcours inspirants

Mais provoquer ces candidatures relève aussi de la responsabilité du secteur. Claire Chabrier, 43 ans, associée chez Amundi, dans l’équipe de capital-développement et transmission comprenant neuf investisseurs dont deux femmes, en a fait sa mission personnelle. « Je prends le temps de répondre à toutes les questions des jeunes professionnelles curieuses du métier, mais aussi souvent inquiètes des contraintes et de l’environnement pour essayer de leur donner envie de se lancer », raconte-t-elle. Son but ? Aider à changer la donne. Mais également créer un environnement bienveillant, dont elle a pu bénéficier elle-même grâce à des rencontres fructueuses durant sa carrière. Parfois, cette démarche suffit à enclencher un cercle vertueux pour attirer les jeunes talents, comme pour Elina Berrebi, 29 ans, actuellement senior associate chez Eurazeo. « J’ai débuté chez Bpifrance – à l’époque, le Fonds stratégique d’investissement –, puis j’ai rejoint Eurazeo, dit-elle. Le bon environnement de travail, où la mixité était un véritable objectif, était l’une des raisons de mon choix de continuer dans le métier ».


Retrouvez l’intégralité de l’article page 42 de l’Agefi Hebdo du 9 au 15 mars