Directeurs financiers de LBO : quitte ou double !

Directeurs financiers de LBO : quitte ou double !

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Indépendance, rémunération… Au sein de sociétés acquises par des fonds, ces « grands argentiers » peuvent tout perdre ou gagner de leur expérience.

Quand un LBO (‘leveraged buy-out’, NDLR) se passe bien, on félicite le directeur général ; quand il se passe mal, on se tourne vers le directeur financier, relate Eric Scoffier, directeur financier de transition chez Valtus. Puis les actionnaires lui demandent ce qu’il compte faire pour redresser la situation. » Ce constat annonce la couleur : un travail acharné attend le directeur financier d’une entreprise financée en LBO, c’est-à-dire avec une dette finançant une majeure partie de l’acquisition. Cet effet de levier est puissant : il permet d’acquérir des sociétés prometteuses avec un apport raisonnable. Mais il est à double tranchant, car il faut à tout moment pouvoir honorer des remboursements de dette conséquents et réguliers.

S’investir dans un LBO n’est donc pas sans danger pour un « DAF ». « Le directeur financier qui choisit cette voie doit avoir une âme entrepreneuriale, souligne de prime abord Bertrand Falcotet, associé chez Valtus. Il doit être capable d’assumer la perte potentielle de son emploi et de son investissement initial dans la société, le ‘management package’ (système d’intéressement des dirigeants, NDLR) étant systématique. » Pour aligner les intérêts des membres du comité exécutif avec les leurs, les fonds demandent en effet aux cadres dirigeants d’investir à leurs côtés. Dans la plupart des cas, un directeur financier doit s’endetter pour entrer au capital. Le tout est de le faire raisonnablement, sans hypothéquer ni son patrimoine personnel, ni son avenir.

« Au quotidien, le directeur financier de LBO doit avoir un caractère affirmé et les nerfs solides », ajoute l’associé de Valtus. Il est vrai que la situation peut basculer brutalement pour l’expert des comptes si la dette peine à être remboursée selon l’échéancier prévu. D’autant qu’il est à la fois le bras droit du directeur général et le contact privilégié du fonds majoritaire. « Lorsque le premier LBO auquel j’ai participé a dérapé, j’ai dû jongler avec des intérêts divergents entre les actionnaires et les dirigeants, se souvient Jean-Philippe Gelbert Maury, 56 ans, actuellement directeur administratif et financier du groupe Trescal. Cette première expérience a été pour le moins éprouvante. » A l’époque, il s’agissait d’une société de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, spécialisée dans les biens d’équipement, qui avait vécu en même temps une crise dans son secteur et un retour sur investissement bien inférieur à celui établi par le business plan. Pourtant, ce « DAF » ne regrette rien : « Ce fut stressant, c’est indéniable. Mais cela reste une expérience incroyable d’apprentissage accéléré. » L’entreprise a déposé le bilan en 2008, Jean-Philippe Gelbert Maury a alors rejoint Trescal dans la foulée. « Malgré le dépôt de bilan, l’actionnaire du premier LBO a valorisé mon travail et a appuyé ma candidature », raconte-t-il. Et cette fois, le pari a été remporté haut la main. Le directeur financier intègre la société de services de métrologie alors qu’elle réalise 70 millions d’euros de chiffre d’affaires. Après 25 acquisitions, le groupe Trescal affiche désormais 220 millions d’euros de revenus.

Le goût du défi et de la liberté

Ce genre de « success story » n’est pas rare dans le milieu. « Pour moi, cela a été autant un superbe défi qu’une véritable opportunité de carrière, confie une directrice administrative et financière d’une société sous LBO. Ayant réalisé tout mon parcours comme consultante, j’ai accepté de faire mes preuves à ce nouveau poste, tout en bénéficiant d’une entrée immédiate au ‘management package’. » Les résultats sont au rendez-vous : depuis son arrivée en 2013, la PME a doublé son chiffre d’affaires.

L’avantage pour les directeurs financiers est que la rémunération progresse le plus souvent au même rythme que croît l’entreprise. S’ils sont corrélés aux pratiques du marché, le salaire, ainsi que le bonus, ont donc de fortes chances de grimper rapidement. Mais le vrai ticket gagnant est le management package, sous forme de bons de souscription, d’actions gratuites ou d’actions classiques. D’ailleurs, les directeurs financiers ayant réussi à accompagner deux ou trois LBO à succès peuvent, avec une bonne gestion de leur patrimoine, vivre de leur fortune.

Au bout du compte, ceux qui choisissent cette voie apprécient surtout… leur liberté. « Ce que je préférais était de pouvoir voler de mes propres ailes », résume avec simplicité Jean-Jacques Baghdiguian, 48 ans, repéré par un chasseur de têtes tandis qu’il jouait le rôle de « sapeur-pompier » au sein de la direction financière d’un équipementier automobile. Il naviguait de filiales en difficulté en sites de production mal gérés pour redresser la situation financière lorsqu’il a été démarché pour rejoindre l’ex-filiale française d’un groupe anglo-saxon, Clyde Union Pumps, fabricant de pompes pour l’industrie, rachetée par un fonds. « Je partais d’une page blanche pour structurer la direction financière, j’avais accès directement au fonds d’investissement et au directeur général ; j’ai pu ainsi contribuer à la définition et à la mise en œuvre de la stratégie opérationnelle pour favoriser la création de valeur au fur et à mesure que l’entreprise grandissait, se remémore-t-il. Avoir un tel champ libre est valorisant. » A tel point qu’au moment où le groupe est racheté à nouveau par une entreprise américaine et qu’on lui propose de reprendre la direction financière d’une division en Europe, il préfère se lancer à son compte comme manager de transition. « Quand ils sont passionnés, certains directeurs financiers de LBO continuent soit comme directeurs financiers de transition, avec le luxe de choisir leurs missions et leur rythme de travail, soit au poste de président-directeur général de l’entreprise », relève Bertrand Falcotet. De fait, ces professionnels développent des compétences indispensables à la panoplie d’un bon dirigeant : un sens aigu de la survie financière, une capacité à communiquer vis-à-vis des partenaires financiers et des opérationnels, une très bonne compréhension de l’activité… Un LBO secondaire ou tertiaire est alors souvent l’occasion de franchir cette étape.

Olivier Poncy (37 ans), directeur administratif et financier de Marietton Developpement, holding spécialisée dans les métiers du voyage
FullSizeRenderJ’ai commencé au bas de l’échelle, comme responsable comptable dans un cabinet d’expert-comptable à Lyon, puis chef comptable chez Capgemini. Dans ce groupe, j’ai participé à l’organisation d’un centre de service partagé à Saint-Priest. Puis, au hasard d’une rencontre – un ami d’ami -, j’ai appris qu’un poste se libérait à l’occasion d’un LBO chez Marietton Developpement ; j’ai rencontré le dirigeant et cela a tout de suite fonctionné.
Quand je suis arrivé, en 2007: tout était à faire. Par exemple, la comptabilité était encore réalisée dans des cahiers, à la main. C’était tellement anachronique ! Mais cela était aussi véritablement grisant. Je me suis mis au travail, ait développé un système d’information, un reporting, recruté une responsable administrative et financière et cinq comptables… Pendant ce temps-là, le groupe est passé de 40 salariés et 50 millions d’euros de volume d’affaires à 1 300 collaborateurs et 1,2 milliards d’euros. Aujourd’hui, il me reste encore beaucoup à faire : structurer nos onze entités, résultats de nombreuses acquisitions comme celle d’Havas, mettre en place un cash pooling pour gérer nos 80 comptes bancaires et accompagner la croissance de la société jusqu’à ce qu’elle gagne la place de leader sur le marché du tourisme.

Article à retrouver dans l’Agefi Hebdo

Crédit Photo : Flickr / CC/ laughingmonk