Autour de Lyon, plus de 160 000 personnes consomment une eau contaminée aux polluants éternels
30 janvier 2024
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Les habitants de villes dans le sud de Lyon, le long du Rhône, dans la vallée de la chimie, sont fixés : l’eau qu’ils consomment contient des polluants éternels. Des molécules dangereuses pour la santé à un taux élevé dont les collectivités cherchent à se débarrasser.
Les automobilistes traversant Lyon pour rejoindre le sud de la France en sortant du tunnel embouteillé de Fourvière voient deux choses. Le mastodonte architectural du musée des Confluences puis, une fois le Rhône franchi, la fumante et grisonnante vallée de la chimie. Derrière leurs vitres, ils voient se dessiner ces bâtiments industriels le long de l’autoroute ainsi que l’impressionnante flamme de la raffinerie de Feyzin.
Cette réalité, les riverains aimeraient oublier… Mais un sujet brûlant les y ramène : la présence de polluants éternels dans l’eau du robinet.
Ces substances chimiques poly et perfluoroalkylés (PFAS), aux propriétés antiadhésives, se glissent depuis les années 1950 dans la composition de nombreux objets du quotidien : vêtements et emballages poêles et casseroles… Ils sont aussi très toxiques et cancérogènes. Des études ont montré qu’ils menacent le développement du fœtus et la fertilité humaine. Les scientifiques les suspectent également d’interférer avec le système endocrinien (thyroïde) et immunitaire.
Trois stations de pompage affectées
Dans ce contexte, les derniers constats de l’Autorité régionale de Santé (ARS) ont soulevé la stupeur. L’agence a mesuré que les eaux destinées à la consommation de 166 000 habitants contiennent avec certitude ces polluants éternels au-delà du futur seuil préconisé par l’Europe. Dans le Rhône, trois stations de pompage affichent des relevés non conformes avec 100 nanogrammes par litre. Les deux captages de Ternay et celui de Vourles, exploité par Suez et celui de Montagny, exploité par Veolia, sont affectés.
« Il s’agit d’une limite de qualité mais l’eau reste consommable, précise Aymeric Bogey, directeur de la santé publique à l’ARS Auvergne Rhône-Alpes. Ces limites, qui ne seront contraignantes qu’au 1er janvier 2026, nous permettent de mener une politique volontariste dès maintenant, la main dans la main avec les collectivités. »
Face à ces propos qui se veulent rassurants, associations et maires sont partagés. « Nous voulons de la transparence et aussi que soit établi un principe de pollueur payeur, explique Emma Feyeux, porte-parole de l’ONG Notre affaire à tous. Malheureusement, à ce jour, notre tentative de plainte en référé pénal à l’encontre d’Arkema a été rejetée au tribunal de Lyon puis de nouveau en appel, uniquement sur la forme. Nous nous pourvoyons en cassation. » L’objectif : parvenir à faire juger le dossier sur le fond.
Des actions en justice
« Il y a la crainte de la jurisprudence, estime l’avocate en charge du dossier Louise Tschanz. La partie adverse fait clairement du chantage à l’emploi, en faveur des industriels, dans ce chef-lieu de la vallée de la chimie. » Elle n’est pas seule à aller dans ce sens. La maire d’Irigny a déjà demandé, avec d’autres villes limitrophes, un référé auprès du tribunal de Lyon afin d’établir avec certitude la source de la pollution. « Le tribunal n’a pas retenu ma demande, se déclarant incompétent, déplore Blandine Freyer. Ce dossier fait peur. Il touche à la santé publique et à l’économie… »
Bientôt, une quarantaine de maires aura déposé plainte contre X— Maître Jean-Marc Hourse
D’autres actions sont en cours, en train de se former ou en attente d’être jugées. Les maires se coordonnent et la riposte s’organise autour de ce dossier explosif. L’avocat représentant ceux du sud de Lyon, plaide pour faire reconnaître « la mise en danger de la vie d’autrui et un délit d’écocide ». Il annonce une deuxième salve. « Bientôt, une quarantaine maires aura déposé plainte contre X, annonce à Ouest-France Me Jean-Marc Hourse. Ils seront également rejoints par des syndicats des eaux, ce qui représentera au total près de 230 000 habitants en France. » Les deux juges d’instruction chargés du dossier ont désigné un laboratoire spécialisé qui opérera sous le contrôle de la gendarmerie.
« Vous la buvez, vous, l’eau ? »
Sur la place de la mairie de Chasse-sur-Rhône, une commune de moins de 7 000 habitants et un nœud autoroutier majeur entre Genève, Lyon, Valence et Saint-Étienne, se trouve un petit tabac, presse et dépôt de pain. Il accueille ce vendredi en milieu de matinée la majorité des habitants qui ne sont pas partis travailler dans les grandes agglomérations « Vous la buvez, vous, l’eau ? » demande la patronne. « Moi, je prends de la bière : c’est mauvais mais au moins, ça fait plaisir, répond son son client, dont le rire fait tressauter sa moustache aussi fournie que blanche. Plus sérieusement, je prends de l’eau en bouteille maintenant. » « La vérité, c’est qu’on ne sait pas : même le maire ne sait pas », répond la patronne en montrant d’un mouvement de menton le bâtiment républicain situé en face.
C’est là que siège le socialiste Christophe Bouvier, élu depuis 2020. « Depuis le début de mon mandat, avec l’A7 et l’A46 qui se croisent ici, je m’étais focalisé sur la pollution atmosphérique et je découvre maintenant que notre eau potable est contaminée par des polluants éternels produits en amont du Rhône. » Il contacte alors l’entreprise Suez, qui gère le puits de Ternay, alimentant la commune. Les responsables répondent qu’il n’existe pas de réglementation spécifique à ce jour. Mais le 15 janvier 2024, un communiqué de l’Autorité régionale de santé (ARS) annonçant une nouvelle norme européenne change la donne.
Filtrer, ou diluer
L’institution confirme que le champ de captage est contaminé par une quantité alarmante de molécules (PFAS) et demande aux collectivités de mettre en place un plan d’action financé par les consommateurs eux-mêmes. Deux solutions sont privilégiées : l’installation de filtres à charbon, pour capter les PFAS, ou bien l’interconnexion à un autre réseau d’eau, pour diluer leur taux de présence.
« Nous ne savons pas s’il y a des alternatives technologiques mais nous savons que Suez va nous facturer cinq millions d’euros de mise aux normes et encore 500 000 à 600 000 € de plus chaque année », poursuit le maire de Chasse-sur-Rhône. Or, ici, l’eau est déjà chère. « Nous allons devoir facturer le mètre cube d’eau 20 centimes de plus, soit 4,20 €. Et nous nous demandons aussi qu’elle sera notre responsabilité pénale dans les années à venir si tout cela fini par devenir un scandale sanitaire. »
Des maires « laissés bien seuls »
« Par précaution, nous avons déjà installé des filtres à charbon pour nos écoles, indique Mattia Scotti, maire de Ternay. Honnêtement, je doute de l’efficacité du dispositif, les enfants ne passant qu’un cinquième de leur temps seulement à l’école, mais je voulais être sûr de faire tout ce qui est en mon pouvoir. » Pendant ce temps, le site industriel d’Arkema rejette encore aujourd’hui ces molécules dangereuses en amont du fleuve. « Les industriels polluent massivement depuis plus de 60 ans, rappelle Gilles Brocard, référent technique de l’association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (Amaris). Or, nous constatons qu’en bout de chaîne, que les maires sont laissés bien seuls face à cette problématique. »
Notre potager de centre-ville, qui alimente nos cantines, contient les légumes les plus surveillés de France !— Jérôme Morage, maire de Pierre-Bénite
À Pierre-Bénite, ville où se situe le site de production d’Arkema, « l’eau du robinet provient de l’amont du réseau de distribution mais nos nappes ne sont pas épargnées, confirme Jérôme Morage, maire de la toute nouvelle commune fusionnée. Alors, notre potager de centre-ville qui alimente nos cantines contient les légumes les plus surveillés de France ! » Aux polluants éternels il oppose les deux termes pollueur-payeur. « Nous demandons rien de moins que chacun assume ses responsabilités. »