Relations investisseurs, l’art de rassurer

Relations investisseurs, l’art de rassurer

La profession de relations investisseurs a dû se démultiplier pour permettre aux entreprises cotées de traverser la tempête.

Leur métier ? Informer et rassurer les marchés sur l’avenir de leur entreprise. Autant dire que les chargés de relations investisseurs n’ont pas chômé ces derniers mois, depuis l’annonce du confinement et la chute de la Bourse qui s’en est suivi. La première difficulté a été de surmonter l’effondrement des cours début mars, puis de maintenir le lien avec les investisseurs. « Je fais des relations investisseurs depuis 18 ans, j’ai rejoint le cimentier Vicat et j’ai déjà traversé la crise de la bulle internet et des crédits ‘subprime’, raconte Stéphane Bisseuil, investor relations officer. Mais une telle crise sanitaire, qui met à l’arrêt le monde entier : jamais ! » Le fait générateur est inédit, mettant les investisseurs du monde entier face à un stress compréhensible. « Nous nous sommes rendus disponibles 24 heures sur 24 pour ne pas rajouter de l’inquiétude », poursuit celui qui a réussi malgré tout à coordonner un placement privé USPP de 175 millions d’euros pendant cette période.

Cette analyse est commune dans le métier. Gilles Arditti, directeur des relations investisseurs et de l’audit interne chez Atos, en témoigne : « Lors de la première phase de la crise, nous avons vu une baisse boursière historique qui a mis tout le monde sous pression : les actions ont été massacrées. Puis, avec l’injection de liquidités par les banques centrales, nous avons vu une remontée rapide des marchés… mais aussi la poursuite du confinement. »

L’information, nerf de la guerre

Outre l’usage d’outils de vidéoconférences, la véritable agilité de la profession tient alors surtout à maintenir la communication. La première tâche est alors évidente : il faut des cartouches ! L’accès à l’information fraîche est le nerf de la guerre. Chez Vicat, l’information passe en interne par deux biais. Le directeur financier fait un point très régulier avec l’ensemble des directeurs opérationnels à travers le monde. Ensuite, un e-café, une visioconférence, se tient quotidiennement pour garantir un niveau uniforme d’information. « Quand il y avait des points d’attention particuliers, le directeur financier et moi faisions des points ensemble et je me chargeais de relayer le message adéquat aux investisseurs », complète Stéphane Bisseuil. « Notre première tâche est d’aller collecter les informations en interne, abonde Gilles Arditti. Nous devions avoir des faits pour leur prouver que ‘le monde n’allait pas s’écrouler’. Et pour cela, il fallait être pro-actif » sans attendre d’être sollicité par les investisseurs.

Dans ce métier, montrer son sang-froid et sa réactivité compte autant que le message… surtout quand celui-ci se veut une démonstration de résilience. Il est alors toujours le même : l’entreprise est capable de surmonter les périodes sans visibilité grâce à un management qui maintient le cap. « Nous en revenons toujours à la psychologie des marchés, explique François José Bordonado, directeur des relations investisseurs chez l’éditeur de logiciels de conception Dassault Systèmes. C’est la principale question des investisseurs : quelles mesures prenez-vous pour manœuvrer dans la tempête ? » Sa réponse : « Quand nous avons publié nos premiers résultats le 1er avril, après le déclenchement de la crise, entre autres marqueurs de résilience, nous avons communiqué sur notre décision de ne pas recourir aux aides de l’Etat, au chômage partiel, mais aussi sur notre recrutement qui se maintenait, en hausse de 3 % par rapport à 2019. »

Beaucoup de groupes ont également décidé de ne pas s’engager sur des « guidances », les objectifs communiqués lors de résultats trimestriels. Il faut alors d’autres messages à faire passer. « Nous avons décidé de suspendre les objectifs, mais de nous appuyer sur notre histoire pour faire la démonstration de notre résilience, raconte de son côté Sophie Palliez-Capian, vice-présidente en charge de l’engagement des parties prenantes chez Bic. Nous avons également expliqué comment s’est mise en place notre cellule de crise et comment elle fonctionne. »

Chef d’orchestre

Certes, ces décisions – de recourir ou non au chômage partiel, de verser ou non des dividendes, de recevoir ou non des prêts garantis par l’Etat – dépendent avant tout de la direction. Mais les relations investisseurs ont un rôle de conseil à jouer sur le message à faire passer, puis de chef d’orchestre pour le mettre en musique. « Nous devons trouver le bon ton, confirme Sophie Palliez-Capian. Mon rôle de contact envers les différentes parties prenantes – investisseurs mais aussi presse et partenaires – permet de s’assurer de l’harmonie. »

Ce rôle de chef d’orchestre, essentiel pour éviter de coûteuses déconvenues, a été facilité par une mobilisation sans commune mesure. « Dans l’ensemble, le contact en interne était d’une aisance déconcertante », explique Stéphane Bisseuil. Si les opérationnels identifiaient déjà qui était leur responsable des relations investisseurs, ils avaient également envie d’expliquer le contexte et la motivation de leurs actions. « Nous avons aussi fait la démonstration que nous pouvions contribuer à protéger les opérationnels et les intérêts de l’entreprise, dans des périodes de forte tension », complète Sophie Palliez-Capian. Cette mobilisation devra se maintenir encore quelques mois, en se basant sur les acquis du confinement comme la tenue d’assemblée générale intégralement en visioconférence. « Mais ce que nous espérons tous le plus, c’est surtout de renouer avec le contact réél, nécessaire à la relation de confiance avec les investisseurs », conclut Stéphane Bisseuil. Pour le moment, voyages et grands roadshows ne sont en effet pas d’actualité.

Retrouvez l’intégralité de l’enquête dans l’Agefi Hebdo du 3 septembre et sur le site Agefi.fr.