Après Lubrizol, repenser le risque environnemental

Après Lubrizol, repenser le risque environnemental

L’incendie de Rouen a rappelé la responsabilité des entreprises en matière d’environnement. Ce qui amène les groupes à repenser leurs couvertures et à soigner la prévention. Exemple avec le fabricant de câbles Nexans.

Lubrizol n’a rien changé pour nous, si ce n’est que cet événement fait partie de ces aiguillons utiles pour questionner notre gestion des risques environnementaux, explique Franck Blanchard, risk manager du câblier Nexans depuis septembre 2018. La typologie de ce sinistre et son caractère exceptionnel dans son impact et ses ramifications nous permettent de remobiliser l’ensemble de la chaîne de responsabilité, des opérateurs de sites industriels au comité exécutif du groupe. » L’entreprise, qui a réalisé 6,5 Md€ de chiffre d’affaires en 2018, n’a pas attendu l’incendie de Rouen (lire ci-contre) pour prendre des mesures.

Fort d’un parc industriel mondial appliquant les réglementations quant à la protection de l’environnement (notamment la directive européenne sur la responsabilité environnementale 2004/35 / CE introduite en 2007), Nexans a mis en place un système d’évaluation et de contrôle de son risque environnemental, constitué d’une partie déclarative et d’audits sur site. Un questionnaire de plus d’une centaine de points de vérification est ainsi envoyé chaque année à l’ensemble des responsables QHSE (qualité, hygiène, sécurité, environnement) du groupe, suivi d’un audit réalisé aléatoirement pour vérifier la cohérence de leurs déclarations. L’ensemble est placé sous le contrôle d’un comité environnemental pour suivre l’exposition et les mesures de maîtrise des risques. Le groupe procède également à des due diligences environnementales lors de toute nouvelle acquisition pour détecter et, le cas échéant, remédier à un éventuel passif environnemental, parfois avec le recours à des assurances spécifiques. La gestion des risques environnementaux est donc opérationnelle.

Primes en hausse

Mais une nouvelle donnée est entrée en jeu pour tous les groupes industriels. « Nous observons dans notre cartographie des risques que les événements climatiques ont potentiellement un fort impact sur notre activité », note Franck Blanchard. Les risques climatiques, et notamment les catastrophes naturelles, présentent des risques pour les biens assurés en dommages, mais des inondations ou des sécheresses peuvent aussi provoquer des pollutions ou des incendies. La question environnementale se hisse donc désormais sur le podium des risques de l’entreprise.

Dans le domaine des assurances de dommages, le groupe a dû faire face à une tension fin 2019 de grande ampleur. « Même si les assureurs reconnaissent le souci de prévention déployé par Nexans, nous avons observé que leur appétit s’est restreint dernièrement avec l’augmentation globale de la sinistralité et le coût conséquent d’un éventuel sinistre, témoigne Franck Blanchard. La conséquence est une mutualisation des risques, avec un nombre d’assureurs plus important dans notre pool, une forte hausse des primes et une diminution des limites, notamment dans le domaine de l’exposition aux catastrophes naturelles. »

Des lois plus strictes

La direction, du fait de son activité de pose de câbles sous-marins, a une conscience de son risque environnemental. Elle soutient ainsi les actions de prévention, mais demande également des solutions assurantielles. Face à cette demande, l’offre doit encore continuer à évoluer. Ce qu’observe Marsh, le courtier de Nexans sur le risque environnemental. « Déjà, nous avons une bonne nouvelle, tandis que sur le dommage nous alertons sur le durcissement des conditions d’assurance, après une période baissière des primes très longue, les risques environnementaux ne sont actuellement pas encore touchés par un retournement ! », détaille Christoph Möcklinghoff, directeur du département risques environnementaux. Pour autant, la vigilance reste de mise. Depuis la directive européenne sur la biodiversité, l’obligation de restauration de la nature à l’état initial décuple le coût des sinistres. « Les montants sont désormais d’un facteur 50 fois supérieur au passé, poursuit Christoph Möcklinghoff. En dix ans, le volume mondial des sinistres a aussi été multiplié par dix. » Le risque s’est même renforcé ces dernières années, avec l’introduction du préjudice écologique dans le code civil français en 2016. L’augmentation significative de la sinistralité est actuellement encore portée par le marché, mais les impacts des sinistres ne sont pas répartis de manière homogène chez les assureurs, et un retournement ultérieur reste donc techniquement possible.

Dans ce contexte, risk managers et courtiers travaillent ensemble pour défendre leur dossier. « L’avantage avec Nexans est que nous avons de l’expérience en la matière », rappelle Christoph Möcklinghoff. Pour preuve, Nexans et Marsh ont entamé une cartographie de l’ensemble des cuves, y compris celles enterrées, notamment pour pallier la non-assurance de certaines de ces cuves à simple paroi, et des mesures ont été prises. « À cet égard, nous sommes engagés dans un effort de transparence auprès des assureurs qui nous accompagnent avec l’appui des opérationnels », complète Franck Blanchard.

Mais il faut désormais aller plus loin. L’équipe de Nexans a conclu leur police Risques environnementaux sur le principe stretch (étirable). Concrètement, cela permet d’utiliser une même capacité sur une durée multi-annuelle (trois ans), sans remettre à zéro les compteurs chaque année, à une prime inférieure. Cette économie de prime peut être utilisée pour augmenter les limites de garanties en phase avec la croissance du risque. En cas de grand sinistre en cours de contrat, il faudra régler la prime sur le reste des trois ans et resouscrire une autre police d’assurance pour être de nouveau couvert. « Cette solution nous satisfait, car elle répond bien à la spécificité du risque environnemental dont l’occurrence est de nature faible », explique Franck Blanchard.

L’entreprise met aussi encore plus l’accent sur la prévention et la formation. « Des événements comme Lubrizol et la réduction de certaines couvertures ne font que renforcer notre conviction de l’importance de la prévention et de la formation, et rend notre démarche encore plus légitime », conclut le risk manager. « De notre côté, que cela soit pour Nexans ou d’autres industriels, nous cherchons à innover pour répondre aux besoins et saluons les initiatives de réassurance encourageantes (lire l’interview de Michel Gombault, président d’Assurpol, p. 46), complète Christoph Möcklinghoff. Quant aux risques climatiques, nous proposons, dans le cadre d’une gestion à plus long terme du risque, d’envisager d’autres véhicules de traitement de risques en impliquant des captives, le cas échéant des assurances paramétriques, et d’autres véhicules multi-annuels. »

Un feuilleton judiciaire

Quatre mois après l’incendie des entreprises Lubrizol et Normandie Logistique, survenu le 26 septembre 2019, le site industriel a partiellement redémarré. Mais l’association Rouen Respire a déposé un recours pour faire annuler l’autorisation du préfet de Seine-Maritime. Le feuilleton judicaire de l’affaire est donc loin d’être achevé. La responsabilité des deux entreprises industrielles reste en question. En décembre, le parquet de Paris a demandé aux trois juges d’instruction parisiens d’étudier la piste de manquements de sécurité des deux entreprises. Ainsi, en plus des dommages directs et de la perte d’exploitation, leur responsabilité est mise en cause et pourrait coûter cher.

Retrouvez l’intégralité du dossier dans L’Argus de l’assurance, no. 7641-7642, vendredi 31 janvier 2020 1153 mots, p. 44,45