Intrapreneuriat, le droit d’oser

Intrapreneuriat, le droit d’oser

La plupart des grandes banques en France lancent des programmes d’intrapreneuriat pour favoriser l’innovation en interne, stimuler la créativité du groupe et retenir les talents.

Je croyais en mon idée : une solution qui pouvait faciliter le quotidien des collaborateurs, dont je souhaitais démontrer l’utilité. Avec un collègue, nous avons travaillé les soirs et les week-ends afin de créer un premier prototype. Et grâce à notre ‘pitch’ (présentation du projet, NDLR), nous avons réussi à convaincre la banque. » Gautier Sartorius, chief information officer titrisation – marchés de capitaux chez Crédit Agricole CIB (CACIB) et porteur du projet PanOptes (celui qui voit tout, en grec, NDLR), est fier du soutien de sa direction. Même s’il s’est battu pour y arriver.

« Tout a commencé par un ‘hackathon’ organisé au sein du groupe en mai 2016, raconte-t-il. J’ai eu une idée intéressante pour mes collègues du ‘front’ en contact avec les clients : un portail web qui permet d’explorer les données publiques et de capitaliser sur l’historique de recherche des collaborateurs. » Il s’agit d’une revue de presse automatique et sur mesure. En un mot, intelligente.

Persuadé de l’intérêt de son projet, il réalise son prototype qu’il présente à la division du coverage. Celle-ci en devient sponsor, bientôt suivie par les équipes risque. Puis, PanOptes passe au total quatre fois devant le comité d’innovation – passage obligé pour continuer le développement de l’outil –, orchestré par la cellule transformation digitale (Idea), avec des membres de la direction. « Nous avons disposé de la liberté d’entreprendre, tout en conservant la sécurité offerte par notre employeur. Et en bénéficiant d’un écosystème riche et à l’écoute. »

Pour accompagner Gautier et soutenir les autres collaborateurs du groupe susceptibles d’entreprendre, la DRH a été rapidement mise dans la boucle. Le premier défi, pragmatique, étant de donner du temps à Gautier Sartorius. « Accompagner un collaborateur sur le lancement d’un produit entraîne aussi des problématiques d’organisation, confirme Saoussen Parant, secrétaire générale et relais innovation à la direction des ressources humaines, dans le cadre de la démarche innovation chez CACIB. Heureusement, Gautier a immédiatement été soutenu par ses managers et ses collègues. »

Cette expérience a permis de défricher le terrain. « J’ai 54 ans, mais je suis extrêmement consciente que les banques doivent innover, témoigne-t-elle. Nous avons utilisé cette première réussite intrapreneuriale pour développer cet esprit. » Concrètement, elle a défini un cadre permettant de libérer du temps aux collaborateurs et d’accompagner les managers dans leur organisation. Dans ce cas précis, Gautier Sartorius a été remplacé pour mener son projet à bien. « L’innovation vient de l’externe et de l’interne. Il est essentiel de favoriser l’intrapreneuriat car il est complémentaire à l’achat ou à l’incubation de start-up extérieures, par exemple, pour favoriser l’émergence de projets, mais aussi pour changer l’image de rigidité liée à notre secteur. » Aujourd’hui, le groupe tout comme l’intrapreneur en sortent grandis : Gautier Sartorius a gagné en visibilité et en assurance ; le groupe a ouvert la voie vers plus d’agilité. « Il nous reste encore du travail sur l’accompagnement de nos intrapreneurs au travers de leurs succès ou de leurs échecs, reconnaît Saoussen Parant. Tous les projets n’aboutiront peut-être pas, nous devons anticiper ce point pour assister nos collaborateurs. » Le cas de CACIB est une illustration de ce que mettent en œuvre les banques pour rester au goût du jour. Toutes s’y mettent, avec des niveaux de maturité et de stratégie différents.

Pouvoir se lancer…

HSBC France, par exemple, a parié sur un public exclusivement féminin. En 2017, la banque s’est lancée dans le programme clé en main 66 miles, incubé par Willa (spécialiste de l’entrepreneuriat féminin, ex-Paris Pionnières). « Nous avons choisi d’en faire bénéficier trois participantes chaque année pour promouvoir la capacité d’entreprendre des femmes en interne, explique Myriam Couillaud, directrice des ressources humaines du groupe en France. Le programme de 2018 a été amorcé en avril dernier. » Trop tôt donc pour parler de la teneur des projets.

Les participantes restent en poste, mais bénéficient d’un coup d’accélérateur en externe comme en interne. « Pour la création d’un prototype, nous leur libérons du temps pour faire des sessions intensives chez Willa, qui met à leur disposition une quarantaine de mentors, détaille Myriam Couillaud. Les trois intrapreneuses ‘pitchent’ ensuite devant la direction générale de HSBC France, ce qui leur donne une belle visibilité, tant pour le développement de leur idée que pour l’évolution de leur carrière. » L’objectif est en effet de leur ouvrir des portes. « Pour autant, beaucoup repose sur la créativité et la motivation des participantes. »

« Ce n’est pas facile d’aller au bout du programme, confirme pour sa part Oana Sellier (41 ans), directrice de monétique pour HSBC France et intrapreneuse. Mais aujourd’hui, je le recommande à tout le monde : je suis fière d’avoir eu une idée prometteuse, de l’avoir défendue et de la rendre aujourd’hui concrète et utile ! » Sa trouvaille ? Une offre de services innovants à destination des entrepreneurs, leur permettant d’optimiser la gestion administrative et financière de leur business. Plusieurs fois, elle a remis son ouvrage sur le métier : « C’est la force d’être incubée à l’extérieur. J’ai pu directement me confronter au besoin du client final pour proposer un service HSBC vraiment utile », poursuit Oana Sellier.

Son idée sera mise en œuvre prochainement : « Je ne sais pas quand, le rythme ‘corporate’ est beaucoup plus long que celui des start-up auquel je me suis habituée. » Mais l’expérience l’a d’ores et déjà transformée : « Mon état d’esprit a changé et je me sens mieux. J’ai osé et j’ai réussi. J’ai sollicité des gens que je n’aurais jamais osé contacter et tout cela me donne envie d’aller plus loin. » La principale difficulté qu’elle a rencontrée est d’être restée en poste pendant l’incubation de son projet. « Mais finalement, j’ai appris à déléguer, j’ai su associer mes collaborateurs à mon projet et j’ai plus à cœur, aujourd’hui, d’introduire de l’agilité dans mon management. »

… en toute sécurité

L’expérience est possible même pour de hauts managers de la Société Générale. « Ce fut l’opportunité de réaliser, à quelques années de ma retraite, un de mes vieux rêves que j’avais sacrifié pour être raisonnable, témoigne Alain Benoist, directeur des systèmes d’information corporate, qui encadre 2.500 personnes (lire le témoignage). Et surtout, cela a du sens car j’essaie d’incarner pleinement le discours sur l’agilité que je tiens depuis quelque temps à mes équipes et à ma direction. »

Il faut dire que la Société Générale a particulièrement investi dans l’intrapreneuriat, dans le cadre d’un fonds de 150 millions d’euros dédié à l’acquisition de start-up et à l’innovation en interne. « Frédéric Oudéa [le directeur général, NDLR] en a fait une priorité et, dès juin 2017, nous avons travaillé avec le ‘codir’ afin de déterminer les grands axes stratégiques de développement de l’intrapreneuriat, explique Flore Jachimowicz, directrice associée innovation groupe Société Générale. Nous avons donc lancé un programme spécifique – l’Internal Startup Call  que je supervise –, dont chacun des membres du ‘codir’ est sponsor. »

Lorsque la banque a lancé son appel à idées en ligne, en novembre 2017, l’entreprise a reçu quelque 650 propositions de salariés à travers le monde, dont 350 avec un « business canvas ». Le 16 février dernier, chacun a présenté son projet et pas moins de 70 start-up (constituées de deux à quatre personnes) ont été retenues. Depuis, cinq d’entre elles ont jeté l’éponge, mais toutes les autres sont encore dans la course. Les collaborateurs de chacune de ces start-up sont payés pendant six mois pour se consacrer uniquement à leur idée. Le dispositif étant international, les entrepreneurs sont hébergés dans différents incubateurs, en Inde, en Roumanie, en Angleterre, en Russie…

« Nous voyons cela comme un investissement global : cela permet d’insuffler la culture de l’entrepreneuriat, de créer de nouvelles compétences chez nos collaborateurs, d’attirer de nouveaux talents et de favoriser de nouvelles pratiques managériales », considère Flore Jachimowicz.

Mais l’enjeu le plus important aura été de se mettre collectivement en ordre de marche. Car il s’agit de rendre accessibles les « personnes ressources » et les moyens, afin de coller au rythme rapide de développement des start-up. Enfin, le droit à l’erreur est essentiel : « C’est notre atout au regard de l’entrepreneuriat. Les collaborateurs peuvent se tester sans risque, puisque nous gérons leur réintégration, et nous garantissons que les échecs n’ont pas d’impact sur les carrières. » Accepter l’échec : un atout pour attirer les jeunes talents « biberonnés » à l’esprit start-up et le moyen d’instiller, chez chacun, l’envie d’oser.


Retrouvez l’intégralité de l’article dans l’Agefi Hebdo du 20 au 26 septembre et en ligne