Région Auvergne Rhône-Alpes : sale temps pour les associations

Région Auvergne Rhône-Alpes : sale temps pour les associations

Depuis l’élection de Laurent Wauquiez fin 2015, la région Auvergne Rhône-Alpes s’est massivement désengagée du secteur associatif – soit des millions d’euros de subventions en moins. Une stratégie qui permet à la collectivité de faire des économies mais qui se traduit par un recul des services publics et des centaines de licenciements.

uppression des agences satellites », « diminution des subventions aux associations », « faire sauter les structures intermédiaires » : tout ou presque se trouve dans le compte-rendu du séminaire du 4 avril 2016. Au cours de cette réunion, Laurent Wauquiez, alors tout nouveau président de la région Auvergne Rhône-Alpes, et le mystérieux Ange Sitbon, spécialiste de la carte électorale des Républicains, annonçaient aux élus de la majorité le menu des cinq années de mandat à venir.

A l’époque, les 150 000 associations du territoire ignoraient encore à quelle sauce elles allaient être mangées. Elles ont depuis été fixées… Les coupes drastiques et brutales du conseil régional dans leurs subventions ont liquidé plusieurs d’entre elles, comme le Centre d’information pour les droits des femmes en Isère ou l’agence culturelle auvergnate Le Transfo. Et si les autres arrivent à survivre, c’est souvent au prix de licenciements conséquents. Le groupe d’opposition régionale les évalue à « près de 580 ». Florian Martinez, porte-parole du syndicat ASSO Solidaires, estime également « à plusieurs centaines le nombre de licenciements et de licenciements masqués en Auvergne Rhône-Alpes depuis le changement de majorité ». Selon lui, les baisses de subventions ont conduit à quantité de ruptures conventionnelles ou de non-renouvellements de contrats. « Ce n’est pas aussi visible qu’une usine qui ferme, mais on a bien affaire à un véritable plan social », dénonce-t-il. A titre de comparaison, l’usine Whirlpool d’Amiens, au centre de toutes les préoccupations pendant l’entre-deux tours de la présidentielle, emploie 300 salariés. Plus localement, le dernier « plan de sauvegarde » de Renault Trucks pour son site de Vénissieux et Saint-Priest, en 2015, représentait 497 destructions de postes.

« Une sélection opérée au nom de la moralité »

Au-delà de la casse sociale, les actions menées sur le terrain ont été revues à la baisse. « Or, les associations assurent des missions d’intérêt général, souligne Myriam Gissinger, coordinatrice fédérale de la fédération environnementale auvergnate FRANE. Il est cohérent qu’elles soient en partie financées par de l’argent public. » Comment se justifie l’exécutif régional ? Dans le cadre de cette enquête, Mediacités a bien entendu sollicité pour des interviews plusieurs membres de la majorité. Malgré nos nombreuses demandes, personne n’a jamais souhaité répondre à nos questions (lire ci-dessous notre encadré « Majorité silencieuse »). L’argument de la réduction des dépenses de la collectivité a souvent été avancé avec, pour feuille de route, 75 millions d’euros d’économies par an les deux premières années du mandat puis 50 millions d’euros par an ensuite.

Mais dans le détail, toutes les associations n’ont pas été abandonnées. Certaines ont été épargnées… voire fortement refinancées. Prenez l’environnement, par exemple : les subventions retirées à des acteurs comme la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna) ou la Ligue de protection des oiseaux (LPO) ont été partiellement réorientées vers les associations de chasseurs. « Il y a également une sélection opérée au nom de la moralité », analyse Myriam Laïdouni-Denis (EELV) conseillère régionale d’opposition. Le festival gay et lesbien Écran mixte a vu sa subvention régionale de 3 000 euros intégralement sucrée, soit 20 % de son budget global. « Pendant ce temps-là, la chorale d’enfants Maîtrise de la cathédrale du Puy-en-Velay [dont Laurent Wauquiez a été le maire de 2008 à 2016] se voit allouer une enveloppe supplémentaire de 25 000 euros pour financer le salaire d’un professeur de chant », poursuit l’élue écologiste, membre de la commission culture.

L’exécutif met en œuvre la politique pour laquelle il a été élu ? Rien de plus logique. Cependant, les choix de la majorité Wauquiez alimentent les accusations de clientélisme. « C’est flagrant dans le domaine des festivals », note Farida Boudaoud, conseillère régionale PS et ancienne vice-présidente chargée de la Culture. Tandis que les Nuits d’été ou le printemps de Pérouges ont vu leurs aides fondre de 20 à 50 %, d’autres manifestations comme le festival de Jazz à Vienne ou le Cosmojazz à Chamonix ont bénéficié de hausses impressionnantes. Un hasard ? Les maires des deux villes concernées ne sont autres que Thierry Kovacs, président des Républicains en Isère et Eric Fournier, vice-président en charge de l’environnement à la région.

Sous la précédente mandature, présidée par le socialiste Jean-Jack Queyranne, les dossiers soumis à la Commission permanente du conseil régional étaient sélectionnés par des comités mêlant élus de tous bords et agents de la collectivité. Rien de tel aujourd’hui. « Les dossiers arrivent directement en commission, sans que nous sachions sur quels critères ils ont été choisis », déplore Sarah Boukaala, conseillère régionale d’opposition (PRG).

Manifestation devant l'hôtel de région à Lyon. photo : M.Remy
Manifestation devant l’hôtel de région à Lyon. photo : M.Remy

Même désarroi du côté des associations. Toutes celles rencontrées par Mediacités ont sollicité plusieurs fois la région pour une rencontre ou un échange afin d’y voir plus clair sur les critères d’attributions des subventions. Selon elles, la collectivité ne leur a jamais répondu. Autre entorse à l’éthique, le conseil régional a choisi de s’affranchir des engagements pris sous la mandature précédente. Plusieurs associations avaient en effet signé des « conventions pluriannuelles d’objectifs », à l’image de la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (Criirad). Pour cette association, la dernière convention signéeprévoyait 190 000 euros par an entre 2014 et 2016 pour accompagner différentes actions – dont la mise en place d’un réseau de balises mesurant les taux de radioactivité. « Tout s’est bien passé en 2015, raconte le directeur de l’association Yves Girardot. Mais en 2016, nous avons découvert que notre dossier avait été retiré de ceux à traiter. »

Si la Criirad a fortement réagi par voie de presse, d’autres associations préfèrent jouer profil bas. Par peur… « Nous avons perdu une grande partie de notre subvention régionale et nous en avons fait état dans la presse locale, raconte un président d’association qui préfère taire son nom. Résultat : à la publication au journal officiel, nous découvrons que nous perdons encore plus que ce qui nous avait été annoncé auparavant ! » Deux autres représentants d’association, toujours sous couvert d’anonymat, relatent la même histoire. « Dans ce climat, beaucoup d’associations n’osent tout simplement plus prendre la parole »,  analyse Catherine Fromage, élue Front de gauche à la région. Ceci explique cela : plusieurs d’entre elles n’ont jamais donné suite à nos demandes d’interview tandis que d’autres nous ont prié de ne pas les mentionner.

Toutes associations sont-elles pour autant paralysées ? Multiples et disparates, une action unie et coordonnée paraît difficile alors même que les rares « têtes de réseau » qui les chapeautent et structurent leurs actions ont été les premières affectées par les coupes budgétaires. Les plus combatives se sont néanmoins réunies à travers le collectif Vent d’asso. A son initiative, le 1er avril dernier, sous la pluie, quelques centaines de personnes se sont rassemblées devant l’hôtel de région et, ensemble, ont levé le doigt pour symboliquement demander la parole et tenter de se faire entendre. Mais les portes ne se sont pas ouvertes.

Manifestation du collectif Vent d'asso. photo : M.Remy
Manifestation du collectif Vent d’asso. photo : M.Remy

Chacun cherche des sous

Malgré le silence de la région, des associations essaient toujours de nouer le contact. D’autres encore font appel à leurs élus locaux pour « faire passer » leur dossier, choisissant de jouer avec les nouvelles règles du conseil régional. Toutes cherchent de nouvelles ressources financières. Celles qui en ont la possibilité proposent des prestations payantes. Les campagnes de dons auprès des particuliers se multiplient. Certaines associations se tournent vers le financement privé et le mécénat, ou, comme les associations Lesbiennes, gays, bis et trans (LGBT), vers d’autres collectivités locales, notamment les communes.

Les associations appellent aussi l’État à la rescousse. La préfecture du Rhône a ainsi confirmé l’autorisation accordée par la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) du recours au chômage partiel pour le secteur associatif. Une décision passée inaperçue mais pourtant loin d’être anodine. Le chômage partiel permet aux entreprises confrontées à une conjoncture économique difficile de réduire leur activité grâce à la prise en charge par l’État des heures chômées. Autoriser le chômage partiel suite à des baisses de subventions ? La situation se révèle particulièrement atypique. Aux grands maux, les grands moyens…


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Article réalisé avec Eva Thiébaud, dans le cadre du collectif Porte Voix