Les analystes financiers font de la résistance

Les analystes financiers font de la résistance

A l’heure où les banques réduisent leurs équipes de recherche, d’autres voies s’ouvrent à eux pour exercer leurs compétences.

Sur la Place de Paris, la communauté des analystes financiers est crispée. La raison ? L’entrée en vigueur, le 3 janvier 2018, des règles MIF 2 qui imposent la séparation totale des frais d’exécution des ordres et des frais de recherche, afin d’améliorer la transparence du marché. Cette réforme pourrait renchérir les prix des rapports facturés aux clients investisseurs, qui seront ainsi poussés à sélectionner leurs prestataires plus finement. « Certaines banques pensent que cette activité ne sera plus aussi rentable qu’aujourd’hui et commencent, depuis plusieurs mois déjà, à réduire les effectifs », observe Danielle Nassif, principal au sein du cabinet de chasse de têtes Kienbaum Consultants International.

Cette tendance ne rassure pas les jeunes professionnels. « Je pense que la recherche ‘sell-side’ va vivre une période délicate et incertaine, bien qu’elle reste un support important pour les acteurs de la gestion », résume sobrement Tristan de Gezelle. Ce dernier a récemment bénéficié d’une opportunité, en interne, au sein d’Aurel BGC. « Je quitte mon poste d’analyste financier ‘sell-side’ pour passer à la vente, témoigne-t-il. Cela constitue un défi personnel mais je vais pouvoir acquérir de nouvelles compétences, tout en bénéficiant de l’expérience acquise dans mes rôles précédents. » Il sera notamment chargé de couvrir des comptes high yield, l’un des marchés porteurs actuellement dans un contexte de taux bas et de recherche de rendement par les investisseurs.

D’autres n’ont pas forcément accès à une mobilité interne tandis que l’avenir des services de recherche est loin d’être garanti. « J’ai quitté la Société Générale dans ce contexte, raconte Mathieu Balleron, 29 ans. L’avenir était pour le moins incertain et j’ai préféré être réactif. » Il vient en cette rentrée d’intégrer le MBA de l’Insead afin d’évoluer vers d’autres métiers. « Grâce aux techniques financières, à l’esprit critique et de synthèse que j’ai acquis au cours de ma première partie de carrière, il ne me reste qu’à me former à la direction et au management pour être attractif aux yeux de nombreuses sociétés », explique-t-il. En effet, l’analyse financière est très bien considérée par les recruteurs qui la voient comme une « formation-tremplin », au même titre que l’audit. Le marché du travail a beau être défavorable depuis quelques mois, les analystes sont encore fortement chassés… pour exercer d’autres métiers.

La gestion, débouché évident

La reconversion la plus évidente actuellement est celle vers la gestion d’actifs. « Cela constitue une partie significative de nos missions, confirme Danielle Nassif. Nous conduisons nos recherches parmi les équipes de gestion d’actifs de la place, mais aussi de plus en plus dans les banques, car nous constatons que les candidats approchés sont devenus attentifs. » Un intérêt certain malgré le fait que le passage vers l’asset management nécessite un sacrifice sur le plan de la rémunération : le salaire fixe baisse en moyenne de 20 % et le bonus de 30 %, voire davantage. En contrepartie de cette rémunération plus modeste, les financiers y gagnent un certain confort de vie et des opportunités de carrière à moyen terme. Ce fut le cas de Jean-Patrick Mousset, 43 ans, qui a opté pour la gestion de patrimoine. « J’ai quitté mon poste d’analyste financier sur les valeurs technologiques et télécoms pour évoluer vers le métier d’originateur ECM (equity capital market, NDLR), puis d’‘advisor’ en fonds de private equity, avant de devenir ‘senior advisor’ en allocation stratégique d’actifs », détaille-t-il. Ces choix lui ont permis de trouver un meilleur équilibre. « Mon salaire est un peu moindre mais l’époque des semaines de 70 heures est révolue, se réjouit-il. Et mon métier me passionne, notamment parce qu’après avoir réalisé de la structuration de fonds de private eqtuity, je conseille désormais mes clients sur l’allocation stratégique d’actifs de grands patrimoines, tant en France qu’à l’international. » Il y gagne surtout des opportunités de carrière. « Dans ce secteur, je sais que je peux progresser rapidement, prendre des responsabilités, tant en termes de montants gérés que de management », ajoute-il.

D’autres analystes se reconvertissent aussi dans la gestion, mais pour vivre des expériences beaucoup plus opérationnelles. Marc-Antoine Laffont, 45 ans, participe en 2003 à la reprise d’un broker. « Après avoir suivi quelques constructeurs automobiles européens pendant des années, j’avais l’impression de stagner intellectuellement, explique ce dernier. Or j’ai un tempérament d’entrepreneur, avec l’envie de tester, de créer, de prendre des risques personnellement. » Il crée donc un service d’analyse macroéconomique et de stock-picking. A l’époque, la démarche est innovante et offre à sa société des années de croissance. « Si l’entreprise est passée de 7 à 40 salariés en cinq ans, 2008 fut ensuite compliquée, reconnaît-il. Très compliquée. » Le broker est reconfiguré pour passer la tempête. A l’aune d’un nouveau cycle économique, son associé (majoritaire) et lui-même se lancent à nouveau. En 2011, ils créent Philippe Hottinguer et Cie Gestion, une société de gestion elle aussi basée sur une logique macroéconomique et de stock-picking. « Depuis 2012, le marché est favorable », constate-t-il. Le pari est alors gagnant. « Je suis au bureau à 7 heures 30 et j’ai envie de me lever tous les matins », souligne le chef d’entreprise.

Le corporate, en fin de carrière

Les profils les plus seniors, quant à eux, s’orientent surtout vers les corporates. Les analystes ont en effet l’avantage de se constituer un réseau doublement utile, tant pour la rédaction de leurs études que pour leur avenir professionnel. Ils côtoient très jeunes des investisseurs mais aussi les membres des comités exécutifs des entreprises de leur portfolio. « J’ai toujours aimé l’industrie et les contacts avec les dirigeants et financiers de ce secteur, se souvient Laurent Sierra, 47 ans. Avec ce métier, dès mon premier stage chez Exane en 1995, je pouvais aborder n’importe quel sujet avec un CEO  (chief executive officer) ou CFO (chief financial officer) de PME industrielle. » Ce goût du relationnel lui donne également l’envie de se lancer en tant qu’entrepreneur. Il cofonde Ingenicom, start-up dédiée aux télécoms, dont l’actionnaire principal Assystem finit par racheter l’intégralité des actions. Il poursuit avec Tradcom, premier opérateur de services en mode SaaS (software as a service)… jusqu’à ce qu’un vol de serveurs le contraigne à céder la société et licencier le personnel non repris. « En 2001, j’ai vendu à celui qui était capable de pérenniser le plus d’emplois et non au mieux-disant, veut-il rappeler. Heureusement, j’ai pu retrouver tout de suite un poste d’analyste financier télécoms chez CM-CIC Securities et me remettre de cette épreuve. » En 2005, il part à Londres chez le broker Redburn Partners, en tant qu’analyste sell-side. « Avec la crise des crédits ‘subprime’, j’ai eu de nouveau envie de renouer avec l’opérationnel, se souvient-il. Comme il y avait des besoins, je suis devenu manager de missions comptables et de transition. » En 2014, le groupe Marmon (8 milliards de chiffre d’affaires) le recrute au poste de divisions director of finance & controller. « Cela me permet de cocher la dernière case que je souhaitais remplir : travailler pour un grand groupe américain, de surcroît détenu par le fonds de Warren Buffett ! »

D’autres choisissent des routes beaucoup plus simples et tout aussi efficaces, comme Thierry Huon, une référence en matière d’analyse sectorielle de l’automobile, recruté par Renault, pour développer les relations investisseurs (lire son témoignage). Les plus jeunes analystes sont aussi attirés par l’entreprise. La différence est qu’ils visent davantage des start-up que des grands groupes. « Etre analyste financier est pour moi un moyen de me doter d’une bonne culture générale et d’un carnet d’adresses, avant de tenter de rejoindre la nouvelle économie, confie un jeune trentenaire en poste, spécialisé en midcaps. Ensuite, j’aimerais beaucoup travailler au sein d’une PME innovante ou une société de capital-risque. » Ils sont ainsi nombreux à vouloir tenter l’aventure de la start-up à la fois vulnérable et en forte croissance, afin de pouvoir mesurer l’impact concret de leurs choix financiers. Une manière de passer du statut de critique à celui d’entrepreneur, de commentateur à celui de constructeur.


Retrouvez l’intégralité de l’article dans l’Agefi Hebdo du 28 septembre.