Hausse du forfait social : les entreprises tentent de s’adapter

Hausse du forfait social : les entreprises tentent de s’adapter

Si les charges patronales sur les outils de rémunération complémentaire ont lourdement augmenté l’année dernière, la hausse du forfait social, passé de 8 % à 20 %, a été particulièrement mal vécue dans les entreprises. La plupart ont néanmoins choisi d’absorber ce surcoût afin de continuer à associer leurs salariés à la croissance de leur société. Quitte à partager l’effort avec ces derniers.

Dans un contexte général d’augmentation des charges pour les entreprises, une contribution a augmenté plus fortement que les autres l’année dernière. Il s’agit du forfait social, qui s’applique notamment sur les sommes versées au titre de l’intéressement des salariés et qui a été multiplié par 2,5. Créée en 2009 pour financer la Sécurité sociale et fixée à 2 %, cette contribution patronale concerne l’intéressement, mais aussi la participation, l’abondement à un plan d’épargne entreprise et la distribution d’actions gratuites (voir encadré). Depuis sa création, elle a progressé de 2 % par an… avant de subir une hausse de 12 points en 2013 ! Désormais, les rémunérations des collaborateurs non soumises aux cotisations sociales sont sujettes à un forfait social de 20 %. Si les entreprises s’attendaient à une nouvelle progression, la brutalité de l’augmentation les a pris de court.

Ainsi, pour Dassault Aviation (3,95 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2012), le surcoût en 2013 a atteint… pas moins de 24 millions d’euros ! Les PME ne sont pas non plus épargnées. Par exemple, pour la société de location de camions GT Location (101 millions d’euros de chiffre d’affaires), le coût total du forfait social s’est élevé l’année dernière à 120 000 euros. Pour l’éditeur de logiciels de dématérialisation Esker (41 millions d’euros), qui offre jusqu’à l’équivalent de deux mois de salaire en intéressement, le surcoût est de 200 000 euros. Même pour les plus petites entreprises, l’enjeu peut être majeur. «J’ai choisi de mettre en place en 2010 une politique d’intéressement, ainsi qu’un plan d’épargne entreprise bien que nous soyons une PME, témoigne Laurent Constantin, directeur de l’agence digitale Acti (plus de 2,5 millions d’euros de chiffre d’affaires). Aujourd’hui, alors que mon objectif était de mieux associer mes salariés en leur offrant un complément de rémunération, je dois le remettre en cause car notre forfait social est passé de 2 400 euros à plus de 4 000 euros.» L’impact est d’autant plus important que les entreprises qui pratiquent l’intéressement y investissent souvent une somme non négligeable. «En moyenne, cette rémunération complémentaire représente l’équivalent de trois quarts d’un mois de salaire pour les collaborateurs, souligne Vincent Cornet, directeur du conseil en rémunération globale d’Aon Hewitt. D’après une étude que nous avons réalisée l’année dernière, la simple hausse du forfait social représente en moyenne une augmentation de 0,6 point de la masse salariale.» Avec des conséquences qui ne sont pas anodines. Pour certaines entreprises, cette augmentation des coûts sociaux va se faire au détriment des recrutements. «Nous avions prévu d’embaucher dix nouveaux ingénieurs l’année dernière, mais l’augmentation du forfait a directement impacté l’enveloppe allouée à ces recrutements, témoigne Jean-Michel Bérard, président du directoire d’Esker. Nous n’en avons finalement engagé que sept.»

Un dispositif auquel sont attachées les entreprises

Malgré cet impact non négligeable, la plupart des entreprises qui avaient une politique d’intéressement générale ont choisi de conserver celle-ci. Seule 3 % d’entre elles y ont renoncé, selon une étude menée par Aon Hewitt sur son portefeuille d’entreprises clientes. La première raison tient souvent à une simple question de calendrier : les accords d’intéressement étant triennaux, toutes les sociétés n’ont pas eu l’occasion de réagir à cette évolution des charges et doivent attendre l’échéance du délai de trois ans avant de pouvoir aborder de nouveau cette problématique. «Lorsque nous avons appris la hausse du forfait social, nous étions en négociations sur notre accord triennal, avec pour priorité d’en faire un accord au niveau du groupe, témoigne Pierre Maisonneuve, directeur des ressources humaines France chez Vallourec (5,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires). Par souci d’homogénéité et afin de ne pas entraver la discussion, nous avons donc décidé de ne pas tenir compte de la dernière hausse du forfait social à ce moment-là. Néanmoins, c’est évidemment un élément en plus à considérer lors des prochaines négociations prévues en 2015.» La situation est la même chez Esker, qui a bouclé son plan en 2012 et devra attendre 2015 pour rouvrir le dossier.

Toutefois, les dirigeants qui emploient ce dispositif croient toujours en son utilité pour la pérennité et la croissance de leur société. C’est notamment le cas du transporteur frigorifique Stef (2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires), qui offre depuis 20 ans un intéressement aux résultats et un fonds commun de placement d’entreprise. «Certes le coût de la hausse du forfait social est lourd, mais nous ne voulons pas remettre en cause une politique de long terme à cause de la dernière variation de la réglementation, assure Gérard Groffe, directeur des ressources humaines du groupe. Et dans les années à venir, nous n’envisageons pas de changer quoi que ce soit car l’actionnariat salarial, qui bénéficie de l’intéressement, représente 16 % du capital et est désormais ancré dans la culture de l’entreprise.» De son côté, Fleury Michon a non seulement maintenu sa politique habituelle l’année dernière mais la société a n’a pas hésité à aller plus loin en attribuant également des actions gratuites. En plus de sa politique d’intéressement, elle a ainsi distribué en 2013 30 titres pour chacun de ses salariés et 240 actions de performance pour 70 cadres dirigeants. Bien que le projet ait été décidé en amont de la hausse du forfait social, le groupe s’est quand même interrogé sur le sujet. «Nous avions estimé que son coût était de 4,2 millions d’euros, ce qui était déjà conséquent, témoigne Jean-Louis Roy, directeur administratif et financier de Fleury Michon. Mais la hausse du forfait social l’a porté à 4,8 millions d’euros.» Soit un surcoût de 600 000 euros. «Malgré cela, nous avons décidé qu’associer nos salariés à la performance du groupe était stratégique car nous les considérons comme les acteurs de notre succès», poursuit Jean-Louis Roy.

Un partage de coûts entre l’entreprise et les salariés

Si les entreprises maintiennent malgré tout leur politique générale d’intéressement, il leur faut gérer au mieux le problème du surcoût qui reste conséquent. Une minorité avaient été anticipé cette problématique lors des précédentes hausses du forfait social, estimant qu’il fallait limiter le risque d’autres augmentations. «Ces entreprises avaient alors proposé aux salariés de leur accorder un montant brut duquel seraient déduits les coûts fiscaux et les charges patronales, afin qu’elles puissent anticiper le coût global de cette politique», souligne Vincent Cornet. En d’autres termes, toute hausse plus importante que prévu serait une déconvenue… directement pour le salarié. Néanmoins ce choix est resté minoritaire, le comité de direction privilégiant le plus souvent un compromis. Les dirigeants optent en effet souvent pour un partage du poids de cette hausse entre les salariés et l’entreprise. Pour l’instant, ce partage se limite souvent à une partie seulement de l’épargne salariale. Esker a, par exemple, décidé de reprendre à sa charge une partie du surcoût de l’augmentation des charges patronales sur la prime pour le partage des profits qui, contrairement aux autres outils de motivation des salariés, était versée en brut. Ce dispositif obligatoire à chaque hausse des dividendes versés aux actionnaires, mais négocié au niveau de chaque entreprise, a été lui aussi concerné par le forfait social. «Théoriquement, nous devions réduire la somme versée de 20 % mais nous avons décidé de partager l’augmentation afin que cela soit moins douloureux pour nos salariés», précise Jean-Michel Bérard. GT Location, pour sa part, a décidé de le faire pour l’intéressement. «Lors de notre accord triennal, négocié en juin dernier, nous avons convenu de partager ce surcoût car nous ne pouvions pas le supporter intégralement», explique Michel Sarrat, président de l’entreprise. Cette dernière a alors gardé à sa charge 30 000 euros. «Ce geste était important, nous avons subi un recul de notre chiffre d’affaires de 2 %, poursuit Michel Sarrat. Même si nous avons contenu cette baisse d’activité par rapport à l’évolution de nos marchés, cela s’est ajouté au coût croissant du forfait social. Ainsi, les salariés vont toucher, toutes choses restant égales par ailleurs, 16 % de moins qu’en 2012.» Pour une entreprise qui pratique l’intéressement et l’actionnariat salarié depuis plus de 25 ans, le coup est rude.

Un risque de découragement

Une certaine lassitude est d’ailleurs perceptible chez beaucoup d’entreprises. «Il est décourageant de voir qu’une entreprise vertueuse, qui verse une rémunération complémentaire à ses salariés, est pénalisée, souligne Gérard Groffe. Nous redoutons une nouvelle augmentation, qui pourrait être très difficile à gérer.» En parallèle, si la politique d’intéressement reste épargnée au sein des entreprises, d’autres outils comme l’abondement sont touchés de façon plus significative. Ce dernier, qui consiste en un complément versé par l’entreprise à une somme placée par le salarié sur le plan d’épargne entreprise, a en effet été fortement réduit. «Près d’une entreprise sur quatre a décidé de diminuer cet avantage cette année, selon notre étude sur le sujet», précise Vincent Cornet. Si l’abondement peut paraître moins stratégique que les primes d’intéressement, puisqu’il n’est pas corrélé à la performance de l’entreprise, il permet néanmoins d’encourager les salariés à investir pendant plusieurs années dans le plan de l’entreprise. Et le recul de l’usage de cet outil, que ce soit un plan d’épargne en actions ou en obligations, risque de diminuer la part de cet actionnariat stable dans ces sociétés.


 

 

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